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dont on eut connaissance à Constantinople furent ceux de Iassi et de Galatz, accomplis en Moldavie le 5 mars 1821. Le peuple à l’instant s’émut ; le divan s’assembla, et on commença d’agiter au sein du conseil l’éternel projet d’exterminer toute la population grecque. Le mufti consulta le livre sacré. « Il ne vous est point permis, dit-il, de verser le sang de l’innocent et de confondre sa cause avec celle du coupable. » Le divan s’inclina, mais le clergé et la ville murmurèrent. L’irritation croissant avec les nouvelles désastreuses qui arrivaient chaque jour des provinces, la sentence du cheik-ul-islam fut respectée ; le cheik-ul-islara lui-même fut déposé et banni. Quelques jours après, les persécutions commencèrent.

Le 16 avril, le drogman de la Porte, Mourousi, fut exécuté dans son costume officiel. Plusieurs Grecs de distinction eurent le même sort. Le 22 avril, le patriarche Gregorios fut conduit au supplice. À minuit, le prélat, entouré de son clergé, célébrait dans la cathédrale le service du dimanche de Pâques ; au point du jour, il était pendu à la porte de sa demeure. Le corps du patriarche resta ainsi exposé pendant trois fois vingt-quatre heures ; les Turcs le livrèrent ensuite aux Juifs, qui le traînèrent ignominieusement dans les rues et l’allèrent jeter, comme un animal immonde, à la mer. Frappés de terreur, les Grecs ne bougèrent pas. Le soir même de l’exécution, le grand-vizir parcourut les rues du Phanar, accompagné d’un simple tchaous.

Ce ne fut pas une révolution grecque, ce fut une émeute turque qui, sous l’impression causée par ce meurtre, faillit éclater à Constantinople. On ne satisfait pas avec quelques gouttes de sang la passion populaire, on l’excite. Tremblant pour sa propre vie, le sultan dut céder aux exigences d’un clergé et d’une soldatesque fanatiques. Il leur abandonna les quartiers de la capitale et les villages qu’habitaient les chrétiens. Pendant trois semaines, des bandes de la plus basse populace, guidées par les janissaires et par les agens de l’uléma, parcoururent la ville et les environs du Bosphore, pillant et égorgeant les raïas. À Andrinople, à Salonique, à Cos, à Rhodes, en Crète, à Chypre, partout où il y avait des Grecs, on eut à signaler de semblables violences ; à Smyrne, l’existence des Européens eux-mêmes fut en péril. Le sultan s’était cru obligé d’appeler, dans cette crise suprême, tous les Osmanlis à la défense de à foi. Il avait, par une proclamation que lui reprocha très vivement et très justement la diplomatie, convié les disciples de l’islam à se réunir, à s’armer, à vivre désormais sous la tente, comme l’avaient fait autrefois leurs ancêtres. Dans toute l’Asie-Mineure, des bandes à demi sauvages répondirent à cet appel. Les milices de l’Anatolie vinrent camper aux portes de Smyrne. C’était un contingent tout trouvé pour l’expédition que l’on préparait dans ce port contre les rebelles