Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/350

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rer la corde, répondait ce fonctionnaire prudent ; si on ne la ménageait pas, la corde pourrait rompre. Puisque les Grecs ne font aucun quartier aux Turcs, pourquoi nous mettrions-nous en peine de défendre ici les Grecs ? » — Il lui suffit d’apprendre que la responsabilité allait passer à une autorité supérieure pour donner accès dans son âme à de moins rigoureux sentimens. « Que le pacha, dit-il au consul de France, fasse seulement retirer ses troupes ; je me charge d’avoir raison des turbulens du pays. » Vaine bravade, qui témoignait du moins d’un remords secret et de la satisfaction qu’eût éprouvée ce malheureux Turc à pouvoir triompher de sa propre faiblesse !

II.

C’était un très grand personnage que le pacha Hassan, un pacha à trois queues, un vizir, investi, comme tous les fonctionnaires de ce rang, du droit de vie et de mort. Les consuls lui envoyèrent une députation. Hassan se montra fort étonné de ce qui se passait à Smyrne. — Il allait y mettre bon ordre, et dès ce moment il se portait garant de la sûreté des Européens. — « Puisse cet homme de bien, se disaient entre eux les consuls, demeurer parmi nous jusqu’à la fin de la rébellion ! Il ne faut pas moins qu’une autorité comme la sienne pour contenir une grande population dont une moitié veut égorger l’autre. » Pendant une audience assez longue, l’affabilité du pacha ne se démentit pas un instant. Les consuls se confondaient en remercîmens. — « C’est Dieu qui vous a envoyé ici tout exprès, au moment du plus grand danger. Vous avez été le sauveur de Smyrne. — Je ne suis que le moindre des esclaves du sultan, repartit modestement le vizir, un simple passager traversant cette ville ; mais il est dans l’essence des pouvoirs qu’a daigné me confier sa hautesse de mettre un terme aux troubles partout où s’exercent mes prérogatives. Si je m’apercevais qu’on voulût éluder mes ordres, je ceindrais mon sabre et j’irais les faire exécuter moi-même. D’un côté, j’offrirais mes bonnes grâces ; de l’autre,… la mort. » — Des remercîmens eussent été insuffisans pour reconnaître dignement d’aussi bonnes paroles. Le lendemain, suivant la coutume orientale, le pacha recevait le présent des consuls. Il y en avait un de moindre valeur pour le kiaya-bey et quelques coupons d’étoffe pour les principaux officiers.

Le pacha parut très sensible à cette attention. On ne tarda pas cependant à recevoir certaines informations qui s’accordaient assez mal avec ses promesses. Les imans et les derviches visitaient toutes les nuits les corps-de-garde et les caravansérails. Ils y prêchaient la destruction de tous les infidèles « sans distinction. » Il fallait, di-