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poser seul aux efforts de cette troupe qui voulait pénétrer dans l’enceinte consulaire. Il se plaça résolument sur le seuil de la porte. De l’intérieur, on cherchait à fermer les deux battans derrière lui ; les assaillans repoussaient ces battans avec le canon de leurs fusils. Sur ces entrefaites apparut le consul ; averti par le bruit, il s’était empressé de revêtir son uniforme. Quand il se présenta devant cette multitude effrénée, on l’accueillit par une décharge de mousqueterie. Tirée en l’air, à la turque, cette décharge ne blessa heureusement personne. Pendant ce temps, le pavillon du consulat avait été amené à mi-mât en signe de détresse. Les bâtimens du roi envoyèrent immédiatement à terre leurs chaloupes armées. Ce secours, la ferme contenance du consul, son langage conciliant, le café qu’il fit apporter, calmèrent à demi les janissaires. Ils consentirent à laisser embarquer les femmes, les enfans, les vieillards et les prêtres. Pendant quatre heures, secondé par son drogman, M. Pierre Maracini, par son secrétaire, M. Sommaripa, le consul de France présida en personne à l’embarquement. On vit alors, — tant le cœur de l’homme est étrange, — des Turcs soutenir d’un bras ensanglanté les femmes toutes tremblantes dont ils venaient peut-être d’égorger les maris, on les vit aider ces malheureuses à porter leurs paquets, et quand les embarcations s’éloignaient près de couler bas sous leur charge, c’étaient encore eux qui prenaient les enfans restés sur le rivage pour les remettre aux bras tendus des mères. On craignait beaucoup que les Turcs ne se portassent pendant la nuit à quelque violence ; mais la nuit fut remplie par les repas et par les prières du ramazan. En général, les Turcs ne font leurs expéditions que de jour. « La nuit est encore sacrée aujourd’hui en Asie, comme elle l’était du temps d’Homère. »

Que faisait pendant ce temps le pacha de Césarée, ce pacha qui avait si bien sondé les fondemens de l’édifice ? « Renfermé dans sa maison, nous dit le rapport officiel de M. David, il n’osait pas même la parcourir. » Le mousselim s’était caché. Le serdar seul se montrait encore, mais on lui avait mis deux fois le pistolet sur la poitrine. Toutes les autorités étaient muettes ou n’existaient plus. Le 18 juin, les consuls étrangers s’embarquèrent avec leurs familles et leurs nationaux. Les bâtimens de guerre anglais et français qui se trouvaient en ce moment sur rade, l’Echo et la Lionne, commandés par le capitaine de frégate de Kergrist et le lieutenant de vaisseau Robert, la Medina, sous les ordres du capitaine Hawkins, de la marine britannique, vinrent s’embosser le long des quais de la ville franque. Cette fuite de tous les Européens, la clôture des consulats, le rapprochement des corvettes, le sentiment de frayeur qu’inspira aux femmes turques la vue des deux bâtimens français, qui à l’entrée de la nuit illuminèrent leurs sabords, tout cet appa-