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vetage ou si nous avions le temps d’agir avec le sang-froid qui peut seul aider à se tirer des grands périls. Après avoir passé sous ses bras une corde tenue par deux vigoureux matelots, Sébastian se laissa glisser le long du bord et disparut. Durant près de trois minutes, penchés au-dessus de la mer, nous attendions, osant à peine respirer. Don Salustio se dépouillait de ses vêtemens pour secourir l’explorateur lorsque Sébastian revint sur l’eau, reprit longuement haleine, puis s’enfonça de nouveau.

— Dieu nous protège visiblement! nous cria-t-il, tandis qu’on le hissait à bord après sa seconde exploration. L’Hirondelle est posée comme avec la main sur un lit de corail blanc (madrepora virginea) d’où le vent du nord seul pourrait l’arracher. Du courage, garçons! Remercions d’abord la Vierge; avec son appui, nous sortirons de ce mauvais pas.

En même temps l’équipage tombe à genoux, et don Salustio va rassurer les femmes en leur annonçant que nous ne risquons pas de sombrer.

Pendant que Sébastian se séchait, je recueillis quelques plaques de sable attachées à ses jambes, avec l’intention d’étudier plus tard à la loupe cette récolte inattendue. En me voyant envelopper avec soin mon échantillon dans une feuille de mon carnet, les matelots m’entourèrent avec une curiosité mêlée de crainte. Afin d’éviter toute mauvaise interprétation, je déclarai accomplir un vœu fait à mon patron, et mon action rentra dans le domaine des choses naturelles.

Il fallait s’occuper de la chaloupe, ensevelie sous une partie de la cargaison. Jamais, dans la courte traversée que l’Hirondelle accomplissait chaque mois, on n’avait eu besoin de la légère embarcation, qui se trouvait fort endommagée. Exposée depuis trois ans aux rayons du soleil, elle faisait eau de toutes parts et avait besoin d’être calfatée. A défaut d’étoupes, nous possédions du coton en abondance; mais, avant de se mettre à l’œuvre, on dut songer aux vivres. Un sac plein de riz, resté sur le pont et trempé d’eau de mer, mit l’équipage en belle humeur. L’eau douce manquait; en guise de boisson, nous ne possédions que des pastèques qu’un matelot transportait à Vera-Cruz, et que don Salustio paya comptant.

A l’heure où le soleil se coucha, la chaloupe était à flot. Sébastian, toujours vigilant, examina longtemps l’horizon. Le vent avait cessé de souffler, la mer redevenait calme, on convint d’attendre qu’elle tombât tout à fait pour partir. Le départ resta fixé au lendemain, décision à laquelle les matelots applaudirent. Les côtes sablonneuses et désertes d’Alvarado se dressaient devant nous; malheureusement nous étions sur une partie du littoral dont les pê-