Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/427

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

protection. Insensiblement la métisse laissa glisser sa jolie tête jusque sur ma poitrine. Sans en avoir conscience, elle copiait en quelque sorte la pose et l’abandon de doña Esteva, et, pensive comme elle, regardait les enfans se rouler joyeux dans les plis de la voile.

— Dis donc, Lydia, Bernagius est donc ton mari? s’écria soudain le petit Juan.

— C’est ma fille, répondis-je en posant la main sur le front de la métisse.

Lydia se leva brusquement, s’enveloppa la tête de son écharpe et s’éloigna.

A neuf heures, tout le monde, excepté Lydia et moi, dormait à bord de l’Hirondelle. Je me rapprochai alors de la pauvre fille, qui regardait vaguement la mer. Elle me prit entre ses bras, me serra de toutes ses forces, appuya contre le mien son visage à demi caché par sa noire chevelure, et pleura. Je la fis asseoir. Elle me raconta l’impression terrible que lui avait causée la scène du matin; elle parlait maintenant d’entrer au couvent. La noble et courageuse action de doña Esteva l’avait frappée d’admiration.

— Je voudrais que cette femme me prît à son service, docteur; je serais pour elle une esclave. Lorsqu’elle s’est avancée vers moi, lorsqu’elle m’a tendu la main et confié sa fille, j’ai cru voir la Vierge elle-même.

— Et Valério? lui dis-je en souriant.

— Je l’aime, me répondit-elle après un instant de silence, et je ne chasserai pas cet amour de mon cœur, il me rapprend à rougir.

A minuit, fatigué de me promener sur l’étroite plate-forme, je m’établis près de Lydia, qui avait fini par s’endormir. La nuit était noire, l’air immobile, et les ondes silencieuses, bien qu’en mouvement, s’élevaient et s’abaissaient comme pour marquer la respiration de l’océan. De temps à autre, je voyais un matelot se relever, examiner la mer, regarder de notre côté, puis disparaître. Je voulais veiller, redoutant quelque surprise, quelque tentative contre la vie de Lydia; la conduite du docteur Neidman m’avait appris ce que l’on peut attendre de certains hommes. Tout b. coup je me souvins que l’aspergillum vaginiferum, étudié par Blainville, possède au-dessus de son disque deux valves à peine visibles. L’aspergillum johanneum, possédait-il ces deux valves? Je tournai et retournai les tubes qui renfermaient mes exemplaires, me reprochant de n’avoir pas vérifié ce point capital, et ce fut en proie à d’amers regrets que le sommeil me surprit.

Je me sentis soudain saisir par le bras; je me débattis, croyant rêver, mais, ouvrant les yeux, je vis que le jour naissait. Je me