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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/523

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régime cellulaire, celui d’empêcher qu’un détenu, sorti de prison et voulant se relever par le travail, ne soit reconnu et livré presque sans défense aux obsessions et aux menaces des anciens témoins de sa captivité. C’est pour échapper à cette tyrannie, dont ils sentent tous les périls, que les condamnés chez qui l’honneur et l’espoir d’une régénération prochaine ne sont pas éteints préfèrent, dans nos prisons mixtes, la solitude de la cellule à la promiscuité des ateliers communs.

Que dirons-nous de la distinction écrite dans la loi anglaise, et observée dans toutes les prisons des comtés et des bourgs, entre le travail industriel (industrial labour) et le travail dur ou pénal (hard or penal labour) ? Malgré les critiques très vives dont cette distinction a toujours été l’objet, le législateur s’obstine à la trouver indispensable. Le travail ordinaire, le travail productif, auquel même en liberté la plupart des hommes sont condamnés, n’a point paru être, avec la simple privation de la liberté, une punition assez redoutable pour la plupart des malfaiteurs. On a donc imaginé toute sorte d’instrumens pour faire sentir aux prisonniers la stérile et monotone fatigue d’un travail purement mécanique et systématiquement improductif. Faut-il décrire cet immense cylindre, garni sur toute sa surface de marches ou palettes semblables à des aubes de moulin, qu’on appelle tread wheel ou tread mill ? Dans la prison d’Holloway, qui appartient à la Cité de Londres, et qui est l’une des mieux tenues de toute l’Angleterre, nous avons vu vingt-quatre condamnés rangés debout sur les marches d’une de ces machines, les deux mains appuyées à une traverse placée un peu au-dessus de leur tête. Un mouvement de rotation dérobe successivement sous leurs pieds toutes les marches du cylindre ; ils grimpent ainsi de marche en marche sans jamais changer de place. Le travail accompli par eux en huit heures et un quart équivaut à une ascension perpendiculaire de 2 kilomètres 1/2. Parlerons-nous du crank, encore en usage dans beaucoup de prisons, sorte de tambour en fer à moitié plein de sable, muni d’une manivelle au moyen de laquelle le prisonnier fait mouvoir à l’intérieur une roue à godets ? Parlerons-nous enfin de la manœuvre du shot drill, qui consiste à transporter des boulets de droite à gauche, puis de gauche à droite pendant plusieurs heures ? Ne serait-il pas temps de renoncer à tous ces supplices, qui n’ont d’autre effet que d’irriter le condamné au lieu de le corriger ? Les résultats relevés par les statistiques devraient avertir les Anglais de l’inefficacité d’un pareil traitement pour empêcher les récidives ; en 1870, les magistrats ont été forcés de renvoyer dans les prisons des comtés et des bourgs plus de 60,000 individus qui y avaient passé un temps plus ou moins long. Aussi demande-t-on aux juges de se montrer plus sévères.