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d’histoire, de géographie, d’économie politique. Le samedi, les prisonniers se livraient à un examen mutuel sur les matières traitées dans les conférences de la semaine. « Il est difficile, écrivait un témoin, de se faire une idée du vif intérêt et de l’animation de ces débats. » Cependant ce n’était là qu’une partie de la tâche de M. Organ : il était en même temps l’instituteur et le conseil des prisonniers ; il s’appliquait à découvrir leurs aptitudes et leurs faiblesses, il leur cherchait du travail aux environs de Dublin, ou les engageait à s’expatrier pour échapper aux souvenirs de leur ancienne vie. Il restait en correspondance avec eux après leur sortie de prison, leur faisait de fréquentes visites, les surveillait et les forçait de devenir d’honnêtes ouvriers en les menaçant, s’ils se conduisaient mal, de les signaler à la police.

En dehors des résultats que devait avoir sur les condamnés eux-mêmes le régime des prisons intermédiaires, sir W. Crofton espérait encore que le spectacle de ces condamnés, travaillant dans une sorte de liberté, serait aux yeux du public la meilleure démonstration de l’efficacité du système pénal tout entier. On devait avoir moins de répugnance, pensait-il, à recevoir après leur libération des hommes qu’on aurait vus, en quelque sorte élevés à la dignité de travailleurs libres, mener une conduite exemplaire. On est ici forcé de se demander si, comme le faisait remarquer dans l’enquête de 1863 le colonel Jebb, directeur des prisons anglaises, il n’y a pas un véritable danger à présenter au public l’exécution de la peine sous sa forme la plus adoucie, à ne lui montrer les condamnés que comme des travailleurs ordinaires. Ne craint-on pas de provoquer des comparaisons regrettables ? En Irlande, durant leur séjour aux prisons intermédiaires, les condamnés recevaient par semaine 2 shillings 1/2 ; c’est plus que ne peut économiser un ouvrier chargé de l’entretien d’une famille. Les prisons doivent être des maisons de réforme pour les condamnés ; mais il ne faut pas détruire dans l’esprit des masses l’idée que la peine est encore moins destinée à relever des malfaiteurs qu’à empêcher d’honnêtes gens de tomber dans le crime. Ensuite est-il vrai qu’on arrive de la sorte à détruire les répugnances instinctives qui repoussent le condamné de la société ? On peut remarquer d’abord que le court passage de ce condamné dans une prison intermédiaire est loin d’être une épreuve plus décisive que sa bonne conduite antérieure dans les prisons ordinaires. Le criminel qui s’est habitué dans les commencemens de sa captivité à dissimuler ses vrais sentimens n’a pas moins intérêt, lorsque la libération est déjà proche, à continuer ce manège hypocrite. Celui qui n’est que faible peut-il être considéré, au sortir de la prison intermédiaire, comme ayant déjà triomphé de sa propre