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flotte de guerre. Ce sont les condamnés qui ont extrait des carrières voisines la pierre nécessaire à cet immense travail. Après vingt-trois années d’efforts non interrompus, la digue vient (l’être achevée ; elle a une longueur de 2 milles anglais, forme une double muraille d’une profondeur de 50 à 60 pieds et enferme une étendue de mer de 21,000 acres. Encouragé par les succès obtenus à Portland, le gouvernement a créé en 1856 de nouveaux établissemens à Portsmouth et à Chatham. Nous n’avons visité que ce dernier, mais il doit être considéré comme un modèle : c’est en outre le plus grand de tous, car il peut contenir jusqu’à 1,700 condamnés, tandis que Portland n’a de place que pour 1,600 et Portsmouth que pour 1,300 prisonniers. A Chatham et à Portsmouth, les condamnés sont occupés à creuser des bassins où les plus grands vaisseaux cuirassés trouveront un abri et pourront être mis en réparation. En parcourant les immenses chantiers de Chatham, tout sillonnés de chemins de fer, tout remplis de l’activité de 1,300 condamnés travaillant par escouades de vingt ou trente sous la conduite d’un gardien et occupés, les uns à extraire la terre, d’autres à cuire des briques, d’autres à élever la maçonnerie, en voyant l’ordre qui règne dans tous ces ateliers, on serait tenté d’oublier que ce sont des condamnés qu’on a sous les yeux, si leur costume et les fusils chargés des sentinelles ne vous rappelaient à la réalité. La durée du travail est en été de dix heures, en hiver de sept heures et demie seulement. Tous les soirs, le travail exécuté dans le jour est mesuré et évalué d’après un tarif arrêté d’accord entre la direction des prisons et l’amirauté anglaise. L’expérience a démontré que les prix adoptés comme base de ce règlement sont à peu près ceux qu’exigerait un entrepreneur ordinaire de travaux publics. Il est intéressant de se rendre compte exactement de ce que peut gagner en un jour un condamné. En 1867, des expériences comparatives » faites à Portsmouth par le capitaine Hervey sur deux escouades de 20 hommes, l’une ne comprenant que des condamnés, et l’autre que des travailleurs libres, ont donné les résultats suivans : tandis que les ouvriers libres gagnent par jour une somme de 4 francs, les condamnés n’ont pu gagner dans le même temps que 2 francs 50 centimes environ ; mais il faut ajouter que les premiers étaient habitués depuis longtemps à ce genre de travaux, et que leur régime alimentaire était très supérieur à celui des condamnés. Les ouvriers libres consommaient, d’après les calculs du capitaine Hervey, 10,808 livres de nourriture solide par semaine et buvaient de la bière, tandis que les prisonniers ne recevaient que 6,377 livres d’alimens et ne buvaient que du thé et une décoction de cacao.

On a calculé ce que représente le travail de tous les condamnés dans les trois prisons de Portland, Portsmouth et Chatham : en