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d’exprimer sa pensée : tout ce qu’il dit ressemble à ces inscriptions clouées à une porte de musée qui ouvre sur les trésors du passé ; à peine daigne-t-il, lorsqu’il lui arrive de citer une phrase grecque ou latine, la traduire ensuite. Pour Dorothée, il représente un Bossuet vivant, capable de réconcilier la science avec la dévotion et de réunir les gloires du saint et du docteur. — Mes idées, se dit-elle en causant avec lui, mes sentimens, le peu d’expérience que j’ai, tout ce qui chez moi forme un mince filet spirituel existe chez lui à l’état d’océan ; mais c’est la même eau, nous pensons de même. — De son côté, M. Casaubon s’attache à faire parler Dorothée ; en la regardant, son visage ridé s’éclaire d’un rayon pareil à ceux du soleil d’hiver. Il lui avoue un jour qu’il sent l’inconvénient de la solitude, et qu’il lui semble que la présence de la jeunesse doit donner du charme aux sérieux labeurs de l’âge mûr. C’est bien un prélude de déclaration, car jamais cet homme grave ne hasarde le moindre mot sans en avoir pesé les conséquences, pas plus qu’il ne revient sur aucune communication une fois faite. Pour affirmer des sentimens exprimés le 2 octobre par exemple, il se bornerait à mentionner la date, jugeant de la mémoire des autres d’après la sienne, qui est un dictionnaire. L’envoi de certaine brochure sur la primitive église, enrichie de notes marginales de la main de l’auteur, est promptement suivi d’une lettre dans laquelle M. Casaubon s’offre avec mille cérémonies et circonlocutions pédantesques à être le gardien terrestre de la félicité de cette femme belle et ardente, plus jeune que lui de près de trente ans. Son offre ridicule ouvre le ciel à la pauvre enthousiaste. Comme un néophyte prêt à franchir le suprême degré d’initiation, elle verse des larmes d’extase : enfin elle va donc pouvoir approfondir ce qui lui semble être le bien, échanger une sujétion puérile à sa propre ignorance contre la liberté de la soumission volontaire à un guide digne de la conduire sur les hauteurs, apprendre tout de lui ! . C’est décidément un directeur de conscience que cherche la sainte Thérèse de Middlemarch, mais jamais dévote jusque-là n’avait songé à faire de son confesseur un mari.

Cette aberration nous touche d’autant moins qu’elle pourrait, si bon lui semblait, mettre à exécution ses idées philanthropiques en épousant l’honnête et joyeux sir James : celui-ci, pour lui plaire, s’est associé à un rêve dont elle se berce, un rêve digne d’Oberlin : embellir la vie des pauvres. Il fait construire sur ses terres des chaumières modèles dont Dorothée a tracé le plan, et s’imagine, parce qu’elle lui en sait gré, s’assurer des droits sur son cœur ; mais cette espérance présomptueuse inspire à miss Brooke, lorsqu’elle s’en aperçoit, plus de mépris encore poux les sentimens