Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/724

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que lui importe ? Il continue son travail et ne songe qu’à la patrie. Or, entre le cynisme de la femme et l’indifférence absolue du mari, comment l’action va-t-elle s’engager ? Où est l’intérêt ? où est le drame ?

Le voici : une grande société industrielle s’est formée pour acheter toutes les découvertes de la science française, et probablement aussi, — la chose se devine assez sans que l’auteur ait besoin de l’articuler à voix haute, — pour les vendre aux ennemis de la France. L’organisation de cette société est mystérieuse et formidable ; ses directeurs savent tout, peuvent tout, osent tout. Les illuminés allemands du XVIIIe siècle avaient essayé de constituer une machine du même genre ; mais en dépit de leurs efforts, malgré le temps qu’ils y mirent, malgré leurs rapports avec les plus grands personnages de l’Europe, ils n’obtinrent jamais la centième partie des résultats que M. Alexandre Dumas attribue à sa société secrète. Claude Rippert vient à peine d’achever ce fameux canon, qui détruit à la minute des armées innombrables, aussitôt la société mystérieuse lui dépêche un agent chargé d’acquérir son secret. Dès les premiers mots, le Marseillais Cantagnac, — c’est l’agent en question, — comprend qu’il n’y a rien à faire avec un inventeur comme celui-là, homme de devoir et de patriotisme ; il s’attaque donc à la femme de Claude. Il a pris tous ses renseignemens, il connaît les détails les plus cachés de sa vie ; le dossier qu’une main adroite a rassemblé pour lui est un dossier complet. « Voyons, madame, allons au fait. Vous êtes insoumise, frivole, féroce, vénale ; combien me demandez-vous pour me livrer le secret de votre mari ? » Césarine n’est pas encore tombée si bas, elle a une lueur d’indigaation et veut rompre cet ignoble entretien ; mais Cantagnac, sans se troubler, lui raconte les divers chapitres de sa vie intime avant et après le mariage. Que dirait votre mari, si on lui apprenait que vous étiez mère avant de devenir sa femme ? — Il le sait. — Et à chaque souvenir, à chaque menace, la même réponse arrive si naturellement, que maître Cantagnac commence à craindre de voir son plan échouer devant le cynisme de la femme, comme il a échoué devant l’honnêteté du mari. Cependant Claude ne sait pas tout ; il ne sait pas la dernière faute, le dernier crime de sa femme, un crime qui pourrait la conduire en cour d’assises. C’est le coup suprême que l’infâme trafiquant réservait à Césarine. Ah ! cette fois elle se sent perdue, il faut bien qu’elle cède ; mais comment livrer le secret des découvertes de Claude ? Est-ce qu’elle sait où est le manuscrit ? Est-ce que Claude lui fait des confidences ? C’est alors que l’infernal agent de la grande société anonyme lui indique un sûr moyen de découvrir le trésor. L’élève de Claude, Antonin, est jeune, timide, amoureux de la femme de son maître, bien qu’il n’ose se l’avouer à lui-ême ; le séduire, l’enivrer, lui arracher le manuscrit, ce sera un jeu pour Césarine. Le jour même, Césarine est entrée en campagne et a