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réputation, il traversait librement nos lignes, passait chez ses camarades, leur révélait et nos mots d’ordre et nos projets, puis revenait chargé de faciles dépouilles, casques on fusils, qui lui servaient à nous tromper sur son véritable rôle. En vain quelques-uns des hommes qui avaient marché avec Hoff voulurent-ils protester de son innocence, en vain firent-ils connaître ses états de service et le détail de sa vie. On refusa de les croire. Le faux sergent d’ailleurs n’avait pas tardé à recevoir son châtiment : des francs-tireurs de la Seine, dans une petite expédition, l’avaient surpris, reconnu et fusillé sans autre forme de procès ; ils citaient l’endroit, c’était sur l’autre rive de la Seine, du côté de Bezons. Dès lors le doute n’était plus permis. Avec la même ardeur qu’elle avait mise à exalter son héros, la population parisienne accueillit les bruits outrageans qui couraient sur lui, on s’étonna d’avoir pu s’engouer ainsi d’un agent des Prussiens ; on accusa même le gouvernement de s’être prêté à cette triste mystification, et plus d’un s’écria, — le mot alors était à la mode : — Nous sommes trahis !

Or le sergent Hoff existait bien réellement ; le pauvre garçon était innocent, il avait fait son devoir jusqu’au bout, et à l’heure même où on le traitait d’espion, prisonnier en Allemagne, il était forcé de changer de nom pour dérober aux Prussiens sa tête mise à prix. Après quatre mois de captivité, de retour en France, il a fait partie de l’armée de Versailles et a reçu, en entrant à Paris, une blessure qui désormais le rend impropre au service. Récemment encore il était au fort du Mont-Valérien, attendant sa retraite ; c’est là qu’il m’a conté son histoire. Il parle lentement, sobrement, d’un ton exempt de forfanterie, avec ces hésitations et ces tours de phrase particuliers aux paysans alsaciens. Ne cherchez point une tête expressive, une de ces physionomies qui frappent au premier abord. Hoff est un homme d’une quarantaine d’années, de taille moyenne, aux yeux bleus, à l’air doux et calme, une bonne figure de soldat en un mot. Son dos déjà voûté, ses cheveux gris, ses traits fatigués le font paraître plus vieux que son âge ; on s’use vite au métier qu’il a fait. Simple d’allures, un peu gauche même, il craint de se livrer, et garde toujours une certaine réserve ; mais sous ces humbles dehors se cache une nature fortement trempée, capable des plus beaux dévouements. Il ne manque d’ailleurs ni de finesse ni d’intelligence ; la lèvre mince a un sourire tout particulier. Quand il s’anime, l’œil, petit et vif, semble lancer des éclairs, ses traits prennent tout à coup une expression d’énergie singulière, et il sait alors trouver le mot juste. — Mais comment donc avez-vous fait pour en tuer autant à vous seul ? lui demandait un général.

— Comme j’ai pu, répondit-il.

Il est admis en principe que les grands caractères se révèlent de