la persévérance et de l’abnégation, car ils sont incompatibles avec les plaisirs du monde, les devoirs d’une profession ou les visées absorbantes de l’ambition. La satisfaction d’avoir découvert une vérité nouvelle, l’estime de quelques juges compétens disséminés à la surface de l’Europe et des distinctions honorifiques ignorées du public, sont la seule récompense de tant d’efforts. On comprend dès lors combien il est difficile à l’homme sans fortune, sans appui, sans position, de pouvoir se consacrer à un labeur continu n’offrant aucune des compensations que la société accorde généreusement à des travaux plus faciles et en définitive moins utiles. Aussi ne saurait-on avoir trop d’admiration pour ces hommes qui, partis des rangs les plus humbles de la société, se sont élevés par leur seul mérite aux premiers rangs de l’élite intellectuelle de la nation. Les noms de d’Alembert, Franklin, Davy, Gauss et Faraday seront toujours un encouragement puissant pour ceux que la destinée semble avoir condamnés d’avance à travailler pour vivre au lieu de travailler pour agrandir le domaine de l’intelligence.
Un Anglais, M. Galton, a publié récemment un livre intitulé Hereditary genius, dans lequel il cherche à démontrer que les facultés intellectuelles sont héréditaires comme les aptitudes physiques. Il cite un certain nombre d’exemples ; M. de Candolle en ajoute d’autres, mais l’ensemble ne confirme pas les déductions trop absolues de l’auteur anglais. Parmi les 94 associés étrangers de l’Académie des Sciences de Paris, trois seulement ont eu des fils élevés à la même dignité : Daniel Bernoulli et Jean II Bernoulli, associés étrangers comme leur père Jean Bernoulli, — Albert Euler comme son père Léonard, — John Herschel comme son père William. On connaît aussi, en dehors des associés, des savans très éminens dont les pères l’étaient également : tels sont Théodore de Saussure, chimiste, fils du géologue, — Henri Gassini, botaniste, fils de Jacques-Dominique, astronome, — Adolphe Brongniart, botaniste, fils d’un géologue éminent, — Adrien de Jussieu, botaniste, fils d’Antoine-Laurent, — Otto Struve, astronome, fils de Guillaume Struve, — enfin l’auteur même du livre que nous analysons, Alphonse de Candolle, botaniste éminent, fils d’Augustin-Pyrame de Candolle, associé de toutes les grandes académies de l’Europe. Cependant en réalité on ne constate pas que les savans illustres soient issus plus particulièrement de pères voués à la culture des sciences, tels que des professeurs, des médecins ou des ingénieurs. C’est parmi les mathématiciens que l’hérédité semble jouer le plus grand rôle. Il suffit de citer la dynastie des huit Bernoulli, Albert Euler, fils de Léonard, Clairaut, fils d’un professeur de mathématiques ; c’est aussi chez eux que l’aptitude se révèle le plus tôt : Pascal, Clairaut, Gauss, Jacques, Jean et Daniel Bernoulli, étaient déjà des géomètres à un âge où les individus les mieux doués en sont encore à l’étude des élémens.