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— et il y en eut encore quelques-uns, — qui au-devant de nos armées, par leur connaissance des lieux, soit comme guides, soit comme espions, cherchèrent à se rendre utiles, et patriotes, eux aussi, risquèrent bravement leur vie à ce métier sans gloire. Le danger était double en effet. Il fallait, comme de raison, se garder des Prussiens, mais bien plus encore des Français, gardes nationaux ou corps francs, qui dans leur zèle intempestif eussent fusillé sans choisir amis et ennemis. Un jour qu’il venait d’explorer les carrières à plâtre, au-delà de Nogent, pour s’assurer qu’elles n’étaient point minées, Merville par hasard tomba sur des francs-tireurs en reconnaissance. Avec sa blouse bleue, sa casquette, son panier rempli de légumes, il devait paraître suspect ; on l’arrête. Restait à l’interroger. Il eut beau se réclamer du général d’Exea, fixer la place où l’on trouverait ses papiers cachés, non loin de là, au bout d’un champ, sous une grosse pierre ; nos guerriers d’occasion ne voulaient rien entendre. Déjà ils l’avaient fait mettre à genoux et s’apprêtaient à le fusiller, quand soudain quelqu’un de la bande fut comme pris de scrupule. Réflexion faite, on le relève, on lui lie les poings, et haut le pas, à grand tapage, on le conduit au fort de Moisy. Il y demeura cinq jours, au bout desquels il fut renvoyé. On s’était trompé, mais pendant ce temps-là nos généraux n’avaient plus d’espions.

Conduit par Merville, Hoff s’était avancé jusqu’aux premières maisons de Neuilly-sur-Marne ; il s’était rendu compte du nombre des ennemis, il connaissait leurs positions, leurs ouvrages, et il avait résolu de tenter un grand coup. Tout ce charmant pays est admirablement disposé pour une guerre de surprises ; partout des plis de terrain, des bouquets de bois, des haies vives. Au milieu et plantée de beaux arbres, passe la route de Strasbourg, que continuent Neuilly et sa Grande-Rue. On arrive alors sur la place de l’église, — édifice roman du XIIIe siècle, à cintres bas et rapprochés, à clocher carré, coiffé de tuiles en forme de pignon. Dans toute sa longueur, la Grande-Rue avait été dépavée, et les blocs de grès arrachés, puis méthodiquement rangés l’un sur l’autre, faisaient comme un immense damier. En cas de sortie, notre artillerie eût été arrêtée dès les premiers pas, forcée de prendre à travers champs ; mais l’ennemi n’avait pas tout prévu. Par les fossés qui des deux côtés bordent la route de Strasbourg, Hoff a fait avancer sa troupe ; déjà il pénètre dans la Grande-Rue, quelques coups de fusil s’échangent, trois ou quatre hommes tombent du côté des Prussiens, les autres s’enfuient. On combattit encore sur la place de l’église, mais ce ne fut qu’un instant. Ils avaient été si bien surpris que plusieurs, réunis dans l’ancien café du village, s’amusaient alors à jouer au billard ; ils n’eurent que le temps de s’é-