Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/885

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passant de l’état rudimentaire, où se manifeste d’abord toute substance organisée, jusqu’au plus haut degré de la division du travail physiologique, a procédé exactement comme l’art humain, inventant des moyens de plus en plus compliqués à mesure que de nouvelles difficultés se présentaient à résoudre.

Nous sommes loin de soutenir que la vie ne soit autre chose qu’un agrégat mécanique : au contraire c’est un de nos principes que la vie est supérieure au mécanisme ; mais, sans être elle-même une combinaison mécanique, elle se construit des moyens mécaniques d’action, d’autant plus délicats que les difficultés sont plus nombreuses et plus complexes. C’est ce fait qu’il s’agit d’expliquer. On a bien raison de distinguer les machines naturelles ou organes, et les machines artificielles, en ce que dans les unes le mouvement des molécules est constant, tandis que dans les autres la situation des molécules est fixe. Cela certainement constitue une grande différence ; elle est tout à l’avantage de l’art naturel, comparé à l’art humain. C’est un argument a fortiori en faveur de la finalité, comme l’a très bien vu Fénelon : « Qu’y a-t-il de plus beau qu’une machine qui se répare et se renouvelle sans cesse ? .. Que penserait-on d’un horloger, s’il savait faire des montres qui en produisissent d’autres à l’infini ? »

Cependant de ses vues générales sur l’organisation M. Charles Robin croit pouvoir déduire une théorie sur l’appropriation des organes aux fonctions qui exclurait absolument toute idée de plan, d’art, d’industrie, pour ne laisser subsister que le principe des conditions d’existence. L’appropriation est, suivant lui, un de ces phénomènes généraux de la matière organisée que l’on peut appeler avec Blainville des phénomènes-résultats. De ce genre sont, par exemple, la calorification animale et végétale, l’hérédité, la conservation des espèces, etc. Ces phénomènes ne sont pas les actes d’un appareil déterminé et isolé : ce sont des résultantes qui résument l’ensemble des phénomènes de la nature vivante, et qui tiennent à la totalité des conditions de l’être organisé. Suivant M. Robin, la physiologie est arrivée à pouvoir déterminer rigoureusement les conditions de cette appropriation, qui est devenue par là un fait positif, et toute hypothèse sur la finalité des organes est absolument inutile.

Il écarte d’abord une doctrine qu’il appelle « aristotélique, » et qui est celle de la physiologie allemande contemporaine, celle de Burdach et de Müller, et que ne répudierait probablement pas M. Claude Bernard, à savoir que « l’œuf ou le germe est l’organisme en puissance. » Cette doctrine ne diffère pas sensiblement, suivant lui, de celle de la préformation des organes ou de l’emboîtement des germes, développée au XVIIIe siècle par Bonnet.