Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/975

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nexion directe, tantôt par une protection imposée à des états vassaux et subordonnés. Elle est arrivée ainsi à fonder sa prépondérance dans l’Afghanistan, dont elle a fait son poste avancé vers la Perse et la Tartarie indépendante. La Russie, de son côté, a marché à pas de géant ; elle s’est établie sur la mer d’Aral. Il y a quelques années déjà, elle allait jusqu’à Taschkend, Khojend et Samarkand. Il est bien clair que dans ce double mouvement des Anglais vers le nord, des Russes vers le sud, on doit finir par se rencontrer ; mais on n’en est pas là. Entre la Russie et l’Angleterre, il y a cette région du Turkestan, cette fourmilière de peuplades barbares, ces espaces immenses aussi difficiles à franchir pour une armée régulière que pour le commerce. Ce n’est pas de sitôt qu’on pénétrera définitivement dans ce monde rebelle à la civilisation. Dès ce moment cependant, cette question, que l’avenir seul résoudra, apparaît par intervalles comme une menace. Le Turkestan est un ensemble de principautés, de khanats, dont les plus importans sont ceux de Khiva, de Bokhara. Il y a là mille difficultés obscures, insaisissables, de souveraineté ou de protectorat, qui intéressent la Russie et l’Angleterre aussi bien que la Perse et la Chine. Ces khans, dont quelques-uns sont tributaires des Russes ou des Anglais, qui sont souvent occupés à se faire la guerre entre eux, s’entendent du moins sur un point : ils rançonnent, ils pillent les voyageurs, ils retiennent les étrangers prisonniers, et ils les réduisent quelquefois en esclavage. C’est la grande raison, ou, si l’on veut, le prétexte des interventions et en définitive des progrès de la Russie ; c’est encore pour cela que se prépare une expédition nouvelle contre Khiva. La Russie veut aller délivrer des prisonniers que retient le khan de Khiva ; elle veut imposer le respect de ses nationaux et des étrangers, s’assurer des garanties qu’elle se chargera de rendre efficaces.

C’est là justement que la question se précise et s’aggrave. L’expédition russe projetée pour le printemps aura-t-elle pour résultat l’occupation de Khiva ? Si la Russie, en se rapprochant, parvient à exercer sa prépotence sur la Perse soit par la pression de la force, soit par des traités, si elle s’avance vers Bokhara, n’est-elle pas en position de menacer sérieusement Hérat, la clé de l’Afghanistan, Caboul, Péshawer, les possessions britanniques de l’Inde ? L’espace qui sépare les deux puissances n’est-il pas dangereusement diminué ? De là les vives préoccupations qui se sont manifestées à Londres. Les Anglais voudraient que la campagne qui se prépare n’aboutît pas à une occupation permanente, qu’entre la Russie et l’Inde britannique il restât toujours une certaine zone neutralisée. L’expédition de Khiva a ravivé ces inquiétudes ; en réalité, il y a entre les deux gouvernemens une négociation à peu près permanente à ce sujet depuis plusieurs années. Lord Clarendon s’en était déjà occupé lorsqu’il était ministre des affaires étrangères. Au mois d’août dernier, lord Grandville adressait à l’ambassadeur d’Angleterre à Saint-Pétersbourg,