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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/119

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L’attendrissement des femmes surtout a été nuancé de la manière la plus exquise. Si la pitié et l’émotion pieuse dominent, d’autres sentimens plus profanes n’ont pas abdiqué pour cela ; la religion ne fait pas taire la nature, et l’amour perce dans le regret qu’emporte le jeune saint. Le regard de celle-ci dit visiblement : — si jeune et quand il avait tant de bonheur à recevoir ! — et le regard de celle-là répond, comme le refrain d’un chœur antique : — si jeune et quand il avait tant de bonheur à donner ! Merveilleux encore est le personnage de cette petite fille qui se tient sur le premier plan, aux côtés de sa mère ; tous les sentimens de son sexe sont déjà chez elle à l’état d’embryon. Elle lève sur le jeune saint des yeux pleins d’une curiosité étonnée et où domine une sorte de joie, joie du plaisir que lui cause la vue d’un si beau visages étonnement naïf d’une résolution dont son âme ne peut encore comprendre la grandeur. Quant aux personnages purement épisodiques, quelques-uns sont admirables ; je me contente d’indiquer le jeune soldat à cheval, qui se retourne pour apercevoir la mère qu’il entend crier du rempart : on le croirait détaché d’une belle fresque italienne de la renaissance ; il n’y a de pareils mouvemens et de pareilles attitudes que dans les fresques de Raphaël et quelquefois dans le Dominiquin.

Non loin de la place où l’on voit le Saint Symphorien se trouvait le monument funèbre du président Jeannin, fils d’un tanneur d’Autun, et de sa femme Anne Guéniaud, fille d’un petit médecin de Semur. Ces noms et qualités disent assez nettement que, de même que la nature n’a pas eu besoin d’attendre l’ère de la démocratie pour faire sortir un Rubens des reins d’un épicier et un Haydn de l’union d’un charretier et d’une cuisinière, les anciennes sociétés n’avaient pas eu besoin d’attendre nos modernes principes pour reconnaître les droits du mérite ; mais passons. Ce monument a été brisé pendant la révolution ; heureusement il en reste la partie la plus précieuse, et comme art et comme document historique, les statues du président et de sa femme. Les deux effigies sont agenouillées, le président revêtu de son costume à paremens de fourrures, la présidente en habits de dame de la régence de Marie de Médicis. Ce sont deux très belles, mais très solides et très substantielles figures bourguignonnes, qui se sentent du tempérament de leur province et de la vigueur de leur extraction. On devinerait assez aisément sans autre indication que leur aspect qu’ils sont les premiers de leur race, tant la santé apparaît intacte et la nature libre de tout germe délétère. Sous ces chairs épaisses, mais d’une singulière fermeté et dont l’abondance est arrêtée avec précision au point voulu pour que la beauté des formes et du visage soit respectée, on sent une ossature puissante, legs d’une hérédité obscure