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visiter les différentes maisons de campagne de Lamartine, qui sont à des distances assez considérables les unes des autres pour exiger plusieurs voyages. Hélas ! de ces propriétés pour la conservation desquelles le grand poète s’était condamné à un labeur si incessant, une seule, Saint-Point, garde encore quelque trace de lui. Montceaux est vendu et démeublé jusqu’aux ferremens ; Milîy est vendu et fermé, et j’en ai trouvé le seuil insulté par la plus sèche ingratitude. Il ne faudrait pas croire que ces résidences dont les noms sont connus de toute la France aient rien de fastueux ; jamais je n’ai mieux senti qu’en les visitant que le véritable prix des choses est celui qu’y attachent nos souvenirs. Montceaux a pu être et peut redevenir aisément une très agréable résidence ; on y arrive par une avenue originale dont je n’ai vu que ce seul exemple, une longue allée bien tracée bordée au lieu d’arbres d’une double haie de vignes charmante encore en automne, et qui dans les mois de la pleine floraison doit présenter un spectacle délicieux. Milly est simplement la maison d’une bonne ferme. Saint-Point, près de Cluny, est assez pittoresquement situé sur une hauteur, d’où il domine même la petite église du village, malheureusement il n’est pas très bien découvert, et on ne l’aperçoit guère que lorsqu’on y arrive. C’est la seule des propriétés de Lamartine qui n’ait pas été vendue, et qui conserve quelques souvenirs. Parmi les portraits de famille, il en est un qui attire très particulièrement l’attention, celui du père même de Lamartine, figure belle, fine et un peu triste, dans laquelle on reconnaît tous les traits de son fils, mais avec une moins souveraine élégance. Le port de tête est bien le même, et voilà bien l’origine de ce superbe profil qui faisait ressembler le poète à un lévrier de grande race. Selon une mode qui prévalut pendant un certain temps, le père du poète s’est fait peindre en costume de ville, et le col sans cravate, et ce détail d’une chemise déshéritée de tout ruban de soie suffit pour donner à ce portrait quelque chose de rustique qu’il n’aurait pas sans cela et qui n’est pas dans le caractère de la physionomie. On voit aussi avec intérêt une cheminée peinte par Mme de Lamartine, et représentant les figures des poètes favoris de son mari. En haut, les trois maîtres souverains de toute poésie, Homère, Shakspeare et Dante ; sur les deux côtés, les trois plus grands poètes de l’Italie et les trois plus grands poètes de la France, Pétrarque, Arioste et Tasse d’une part, Corneille, Racine et Molière de l’autre. Au-dessus de ces trois groupes, qui forment à eux trois le nombre des muses, on lit cette inscription tirée, je crois, de Dante : maestri e duci di color che sanno, maîtres et chefs de ceux qui savent. Un autre souvenir de Mme de Lamartine se trouve encore à Saint-Point, deux tableaux peints pour l’église du village, et représentant l’un sainte Élisabeth et l’autre