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pas même eu l’honneur d’être discutées sérieusement. On ne leur accordait que la poétesse du silence ou les dédains de l’ironie. Nous ferons voir cependant que les conceptions capitales de Lamarck sont celles qui commencent à dominer en botanique et en zoologie. Aux exemples trop peu nombreux cités par l’auteur, nous ajouterons ceux que la science moderne a réunis.

Cherchant à persuader par le raisonnement plutôt que par des faits positifs, Lamarck a partagé le travers des philosophes allemands de la nature, Goethe, Oken, Carus, Steffens. Aujourd’hui on raisonne moins, et l’on démontre davantage. Le lecteur, pour être convaincu, exige des preuves palpables, des faits matériels bien constatés ; à chaque objection, il veut une réponse précise, et il ne se rend que lorsqu’il est pour ainsi dire accablé sous le poids de l’évidence. C’est ainsi que nous procéderons ; nous accumulerons ces preuves qui avaient entraîné la conviction personnelle de Lamarck, mais qu’il eut le tort de ne pas communiquer à l’appui de ses raisonnemens. Quand on lit sa Philosophie zoologique, on entrevoit pourquoi des esprits rigoureux tels que Cuvier et Laurent de Jussieu n’ont point admis ses conclusions ; on comprend qu’ils les aient combattues. On ne saurait en effet attendre d’un savant absorbé par ses propres recherches qu’il se mette en quête des faits qui doivent étayer les théories conçues par un autre. Il ne faut donc pas s’étonner si l’éloge académique de Lamarck par Cuvier, lu après la mort de Cuvier lui-même par M. Sylvestre à la séance publique de l’Institut du 26 novembre 1832, renferme à côté d’éloges sincères un blâme immérité des doctrines philosophiques de Lamarck, et ait inauguré ce genre d’éloges désigné plus tard sous le nom peu académique d’éreintemens. L’impartiale postérité excuse ces injustices involontaires sans les ratifier. Dans les sciences comme dans la politique, le temps seul nous place à un point de vue assez éloigné pour pouvoir porter des jugemens équitables sur les hommes, leurs opinions et leurs actes. Nous essaierons de traduire ce jugement rétrospectif ; mais auparavant nous croyons devoir donner une courte biographie de Lamarck. La vie d’un savant est le commentaire obligé de ses œuvres : elle explique ses succès dans la recherche de la vérité, et permet d’apprécier les causes de ses défaillances. De là l’intérêt plus vif que celui d’une simple curiosité qui s’attache aux notices biographiques des hommes célèbres dans le domaine de l’intelligence.


I. — BIOGRAPHIE DE LAMARCK.

Jean-Baptiste-Pierre-Antoine de Monet, autrement appelé le chevalier de Lamarck, naquit à Bazentin, village situé entre Albert et