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UN
POETE THEOLOGIEN

LA RELIGION ROMAINE DANS VIRGILE

C’est une erreur de croire que tout soit dit sur les grands écrivains qui occupent depuis si longtemps l’attention du monde, et qu’on ne puisse plus parler d’eux sans être condamné à répéter ce qui se trouve partout. Il semble au contraire qu’ils aient ce privilège de suffire à l’admiration de tous les siècles ; nous voyons que chaque étude qu’on fait de leurs ouvrages au lieu de les épuiser les renouvelle, et qu’en les regardant sous d’autres aspects on y découvre toujours d’autres qualités. C’est ce qui arrive pour Virgile. La critique de notre temps a des préférences qui ne lui sont pas favorables : elle s’est éprise de la poésie des époques primitives, de celle qui naît d’un élan spontané de l’âme, en dehors de toute convention et avant qu’on ait formulé aucune règle. Non-seulement elle n’oserait plus, comme on le faisait encore au siècle dernier, mettre l’Enéide au-dessus de l’Iliade, mais elle irait volontiers chercher dans quelque coin ignoré du monde quelque récit épique à moitié barbare pour l’opposer au poème de Virgile ; elle a même fini par faire si peu de cas de ce qu’elle appelle avec dédain une poésie artificielle et factice qu’on l’a vue récemment proclamer d’un ton superbe que Rome n’a pas connu l’art véritable, et qu’il ne lui a pas été donné de tremper ses lèvres « à la coupe d’or des muses. » Ce qui nous rassure pourtant contre ces mépris, c’est qu’on n’a pas cessé de s’occuper du grand poète de Rome : on pourrait même dire que jamais peut-être il n’a été plus étudié ni mieux connu