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les prophètes qui avaient annoncé la venue du Christ. Après Moïse, Isaïe, David et les autres personnages de l’ancienne loi, on appelait Virgile. « Allons, lui disait-on, prophète des gentils, viens rendre témoignage au Christ. » Aussitôt Virgile s’avançait « sous les traits d’un jeune homme, orné de riches vêtemens, » et il prononçait ces mots, qui ne sont qu’une variante légère d’un des vers de son églogue : « une race nouvelle descend du ciel sur la terre. »

Assurément cette opinion, prise à la lettre, est fausse. Le Christ n’est pas né en 714, sous le consulat de Pollion, il est né une quarantaine d’années plus tard : l’erreur serait inexcusable chez un prophète. Heyne fait remarquer aussi qu’à l’exception de quelques passages les origines et l’inspiration de l’églogue de Virgile sont tout à fait païennes. Ce qu’il chante n’est après tout que le vieil âge d’or des légendes, les fleurs et les fruits qui naissent sans culture, les chênes qui distillent le miel, le raisin qui pend aux buissons, les troupeaux qui rapportent d’eux-mêmes au berger leurs mamelles pleines, etc. Ces images sont bien connues ; elles viennent des poètes grecs et non des livres saints. Il y a pourtant un côté par lequel la quatrième églogue peut être rattachée à l’histoire du christianisme. Elle nous révèle un certain état des âmes qui n’a pas été inutile à ses rapides progrès. C’était une opinion accréditée alors que le monde épuisé touchait à une grande crise, et qu’une révolution se préparait qui lui rendrait la jeunesse. On ne sait où cette idée avait pris naissance ; mais elle s’était bientôt répandue partout. Les sages de l’antiquité avaient coutume de partager la vie de l’univers en un certain nombre d’époques, et pensaient qu’après ces époques écoulées le cycle entier recommençait ; or à ce moment, les prêtres, les devins, les philosophes, séparés sur les autres questions, s’accordaient à croire qu’on était arrivé au terme d’une de ces longues périodes, et que le renouvellement était proche. Pendant que les disciples de Pythagore et de Platon établissaient que, la grande année étant finie, les astres allaient tous se retrouver dans la position qu’ils occupaient à l’origine des choses, les aruspices étrusques lisaient dans le ciel que le dixième et dernier siècle venait de commencer, et les orphiques prédisaient l’avènement prochain du règne de Saturne, c’est-à-dire le retour de l’âge d’or. Les oracles sibyllins s’étaient imprégnés de ces opinions et les avaient répandues dans le peuple. Ils jouissaient alors d’une grande vogue. Ceux que Tarquin avait achetés de la sibylle de Comes et que Rome consulta si pieusement pendant tant de siècles n’existaient plus : ils avaient péri sous Sylla, dans l’incendie du Capitole. On en avait fait chercher d’autres dans les villes de l’Italie méridionale, de la Grèce et de l’Asie pour les placer dans le