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qui reste toujours à remplir, où l’on peut dessiner tout ce qu’on voudra. Ainsi se trouve complétée cette œuvre de la commission des trente soumise en ce moment à l’assemblée, destinée à remplacer la constitution Rivet, en réunissant dans un même projet ce qui a trait à la situation personnelle de M. Thiers et ce qui touche à un certain nombre de questions politiques : œuvre passablement décousue, nous en convenons, assez incohérente, assez subtile, qui commence par une réserve théorique du droit constituant et qui finit par un programme d’une constitution qu’on fera, si on le peut, si on a le temps et si on n’en fait pas une autre. Telle qu’elle est, il faut toujours en revenir là, elle ne fait guère avancer les choses ; mais ce qu’il y a de plus caractéristique, c’est moins l’œuvre elle-même que la situation d’où elle est sortie, qu’elle reflète jusque dans sa confusion. Par une bizarre fortune, ce travail des trente, raconté ou exposé par M. le duc de Broglie, se trouve aujourd’hui l’objet des attaques les plus diverses. L’extrême gauche accuse le gouvernement d’avoir fait trop de concessions en ce qui touche les prérogatives personnelles de M. Thiers. Elle n’admet pas cette prétention qu’aurait l’assemblée de faire une seconde chambre, de réformer la loi électorale, de régler l’organisation et la transmission des pouvoirs. Elle n’admet rien, et voilà maintenant que d’un autre côté une partie de la droite, qui se croyait maîtresse dans la commission des trente, accuse violemment M. le duc de Broglie et ses amis d’avoir fait défection, d’avoir accordé au gouvernement tout ce qu’il voulait, tout ce qu’il exigeait : preuve évidente que ce projet représente encore une pensée de transaction qui lui assure sans doute aujourd’hui un certain crédit auprès de toutes les opinions modérées de l’assemblée, de telle sorte que cette ébauche de statut organique, assez informe par elle-même, semble devenir l’expression ou le signal d’une assez singulière évolution des partis.

Qu’en est-il réellement ? S’il est vrai qu’à la dernière heure il y ait eu une certaine scission entre la droite pure, maintenant plus que jamais ses prétentions, et le centre droit préférant une transaction, à quoi cela tient-il ? C’est peut-être le secret de quelque circonstance extérieure survenue tout à coup. On s’était sans doute flatté jusque-là de tenir en réserve cette combinaison merveilleuse qui s’appelle la fusion, à l’aide de laquelle on croyait pouvoir faire face à tous les périls ; on a été réduit subitement à ne plus y croire, et le fait est que, s’il y avait encore quelque illusion, elle ne pouvait survivre à la divulgation récente d’une correspondance échangée entre M. l’évêque d’Orléans et M. le comte de Chambord. Une tentative suprême avait été faite pour amener le prince à donner quelque satisfaction aux idées, aux vœux de la France moderne, à désintéresser au moins les esprits libéraux par ses déclarations. Le prince a répondu de façon à décourager tous les négociateurs qui se