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malheureuse veuve dut céder ; après un mois de résistance, elle abjura, parce qu’elle savait que le roi voulait, comme le disait un de ses ministres, « qu’on usât des dernières rigueurs contre ceux qui n’étaient point de sa religion. » M. de Seignelay, tout fier de cette victoire, adressa une nouvelle lettre à M. de Menars pour le prévenir « de donner sur-le-champ mainlevée des saisies qu’il avait fait faire sur les biens de Mme Duquesne, et de lui témoigner en cette circonstance toute l’honnêteté possible, » car la politesse, dans le siècle des dragonnades et des précieuses, se mêlait toujours à la violence. Quand les archers du guet expulsèrent les religieuses du Port-Royal, dont la plus jeune avait cinquante ans, et les firent monter de force dans de mauvais carrosses attelés de mauvais chevaux, ils apportèrent encore toute l’honnêteté possible dans leur brutale mission. Il en était de même pour les duels ; on s’égorgeait avec urbanité.

La biographie de Duquesne, telle que l’a reconstituée M. Jal, est aussi exacte, aussi complète qu’on pouvait l’attendre d’un chercheur infatigable qui, après avoir fouillé toutes nos archives, a fait un voyage en Hollande pour vérifier quelques dates et recueillir l’opinion des compatriotes de Ruyter sur son illustre rival. Ce n’est cependant point la partie biographique qui fait le plus grand intérêt du livre, ce sont les détails historiques dans lesquels on l’a encadrée. Il y a là beaucoup à apprendre, car les renseignemens et les rectifications abondent, et l’on y trouve, un peu confusément disséminés parfois à travers la trame du récit, des indications nouvelles sur le matériel, le personnel, la discipline et les faits de guerre. Au XVIIe siècle, ce matériel comprenait trois types : les galères, les vaisseaux ronds et les vaisseaux longs. Les galères étaient de cinq à sept fois plus longues que larges ; elles avaient des voiles, mais seulement comme moteurs auxiliaires, et marchaient à la rame. Le nombre des rames était de 50 à 52, maniées par 5 et plus souvent 6 rameurs, esclaves turcs, forçats ou volontaires[1], ce qui exigeait, en dehors des combattans, un personnel de 300 hommes. Elles portaient à l’avant quelques canons placés sur le pont, mais leur importance, comme machines de guerre, était très secondaire. On les employait dans les débarquemens, le blocus des ports et des côtes, qu’elles pouvaient approcher de près à cause de leur faible tirant d’eau, et surtout comme remorqueurs. Les vaisseaux ronds étaient de trois fois seulement plus longs que larges, et servaient principalement aux

  1. Comme il était souvent assez difficile d’avoir des rameurs, on autorisait les forçats de qualité à se faire remplacer par des Turcs. Les forçats, quand ils pouvaient par leur famille ou leurs amis se procurer de l’argent, faisaient acheter des esclaves sur les marchés de l’Orient, et, comme on en avait au prix moyen de 150 livres par tête, ils en fournissaient quelquefois en paiement de leur liberté une ou plusieurs douzaines. Cet étrange moyen de garnir les bancs des rameurs fut à diverses reprises mis en pratique sous Louis XIV. On avait en même temps le soin de recommander aux juges criminels de faire de leur mieux pour appliquer la peine des galères.