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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/26

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ordre à enlever, parce qu’on avait ainsi tout à la fois un passage de la Somme et une tête de chemin de fer sur Rouen. La question, pour le général de Manteuffel, était de savoir ce qu’il avait réellement devant lui. Ce qu’il y avait, c’était cette jeune armée en formation à laquelle le gouvernement de Tours venait d’enlever son chef trois jours auparavant, de sorte qu’au moment du péril c’était un commandant provisoire, le général Farre, qui restait avec la responsabilité d’une décision des plus graves et d’une action prochaine. La petite armée française comptait non pas 35,000 hommes selon l’évaluation du colonel Rüstow, ni même 30,000 hommes comme le dit le major Blume, mais trois brigades, à peu près 17,000 hommes, et avec la garnison d’Amiens commandée par le général Paulze d’Ivoy, moins de 25,000 hommes. Avec cela, on avait à tenir tête à deux corps allemands et à une division de cavalerie. Malgré le désavantage de la situation, le général Farre n’hésitait pas à se préparer au combat. Tout considéré, ayant à la fois à sauvegarder Amiens, qu’on ne pouvait défendre directement, et à protéger Corbie qui couvrait sa ligne de retraite par le chemin de fer du Nord, le chef français allait s’établir entre la Somme et la petite rivière de l’Avre sur une série de positions, qui se reliaient à Amiens même et dont la petite ville de Villers-Bretonneux était le point culminant. On faisait bravement face à l’ennemi qui s’avançait par Breteuil, Montdidier et Roye.

Dès le 24 novembre, sur toute la ligne les engagemens partiels se succédaient, et le général de Manteuffel s’apercevait qu’il allait rencontrer une résistance sérieuse. Le 27, la lutte éclatait et elle était des plus vives à Dury, en avant d’Amiens, à Boves, à Longueau, à Gentelles, surtout à Villers-Bretonneux, où quelques détachemens de marins récemment arrivés se trouvaient aux prises avec les Prussiens. La défense seule de Villers-Bretonneux nous coûtait 114 morts. et 500 blessés. C’était la première action sérieuse de cette jeune armée du nord, qui peu auparavant n’existait pas et qui maintenant, sans être victorieuse, sans garder son terrain, se battait assez énergiquement pour infliger à l’ennemi une perte de plus de 1,500 hommes en restant elle-même maîtresse de ses lignes de retraite par Amiens et par Corbie. Malheureusement cette retraite, honorable après une rude journée, mais inévitable, laissait à découvert la ville d’Amiens, qui était le point essentiel pour les Allemands. L’armée une fois partie, Amiens n’avait d’autre protection que sa citadelle tournée au nord et quelques ouvrages en terre improvisés. L’armement était incomplet. La garnison du fort, après quelques désertions, se composait de 400 hommes, presque tous du pays. On ne pouvait prolonger la résistance qu’au prix de la destruction d’une partie de la ville. Tout cela était certainement favorable à