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fruit de l’égoïsme humain, et dont « l’hypothèse constitue la plus monstrueuse prétention qui se puisse concevoir. » C’est par une regrettable faiblesse qu’un Goethe lui-même a pu croire à sa vie future. La physiologie moderne nous a appris que l’âme est inconcevable sans le corps et ne saurait en être séparée. Il résulte de tout cela que le domaine de la religion dans l’esprit humain ressemble à celui des Peaux-Rouges d’Amérique, obligés de reculer toujours devant les envahisseurs venus d’Europe et destinés fatalement à disparaître. Toutefois, en face de l’Univers, nous restons dépendans à bien des égards. Il a droit à notre vénération par son infinité, sa majesté, sa beauté. Il est la source éternelle, le laboratoire mystérieux du rationnel et du bien. Le pessimisme est une impiété, un blasphème. « Nous réclamons pour notre Univers la même piété que celle dont les hommes pieux du vieux style se sentaient animés pour leur Dieu. » Et voilà comment il se fait que nous avons encore de la religion, ou que nous n’en avons plus : cela dépend du sens qu’on attache aux mots. Telle est la dernière confession de foi du docteur Strauss.

C’est, je crois, M. Renan qui disait qu’il ne fallait jamais plus se défier d’un Allemand que lorsqu’il faisait profession d’athéisme : on pouvait être sûr d’avance de retrouver un peu plus tard quelque coin de sa pensée pieusement réservé au mysticisme. Cette observation se vérifie dans cette seconde partie, que nous avons résumée parce qu’elle est la plus importante du livre et la clé de tout le reste. M. Strauss est donc un adorateur dévot de l’Univers, et ne souffre pas la moindre critique libertine sur la divinité de son choix. L’école de Schopenhauer, l’ingénieux pessimiste, n’a qu’à se bien tenir : quand elle énumère tous les griefs que le pauvre individu humain fait valoir contre une nature qui le traite si souvent en marâtre, M. Strauss s’indigne, se scandalise, un peu plus il se signerait, et, s’il ne s’agissait pas de questions aussi sérieuses et de solutions aussi tristes, ses susceptibilités ombrageuses en matière de religion tiendraient un rang distingué parmi les excentricités les plus comiques de notre siècle.

Est-il possible, en effet de s’imaginer que l’homme, tel que la nature l’a fait, va se sentir animé de sentimens bien respectueux pour cette substance ou cette mécanique aveugle qui lui fait à tour de rôle du bien et du mal sans le vouloir ni le savoir ? Pour le théiste, la piété est un devoir, car son Dieu est vivant, conscient, et se révèle à lui comme saint et juste. Il ne peut être question de devoirs qu’entre des êtres semblables, nous ne disons pas égaux. Nous avons des devoirs envers les animaux ; parce qu’ils nous ressemblent par la sensibilité physique et la capacité de souffrir ; nous