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LA MORT D’ALI PACHA.

paternelle. Ali demandait au capitaine souliote de lui servir de guide à travers la montagne : à ce prix, il lui laisserait la vie et lui rendrait bientôt la liberté. Zavellas offrit davantage ; il promit de déterminer ses compatriotes à se soumettre. Pour gage de sa foi, il fit venir son fils, et, partant pour Souli, le laissa derrière lui en otage ; mais à peine eut-il mis le pied dans les gorges natales, qu’il adressa la lettre suivante au pacha. « Je suis heureux, Ali, d’avoir pu abuser un traître. Je pourrai donc défendre mon pays contre un voleur. Je sais que mon fils sera mis à mort, mais je le vengerai avant de succomber moi-même. Vous autres Turcs, vous m’appellerez un père cruel et inhumain ; vous me reprocherez d’avoir sacrifié mon fils à ma propre sûreté. Voici ce que je vous réponds : si vous aviez pris la montagne, mon fils eût été tué avec les autres Souliotes, et personne n’eût vengé sa mort. Si au contraire nous sommes victorieux, j’aurai d’autres enfans, car ma femme est encore jeune, et les Turcs paieront amplement le sang que tu vas verser. » Zavellas fut tué dans la campagne, mais l’armée d’Ali fut battue.

Le rusé gouverneur n’était pas homme à rester sur un échec. Il appela de nouveau la diplomatie à son aide. Grâce aux querelles intestines qui ne cessent d’armer les membres de ces tribus indomptées les uns contre les autres, il lui fut facile de diviser ses ennemis. Photo-Zavellas, cet otage remis entre ses mains et qu’il avait épargné, devint son partisan ; George Botzaris entra à son service. En 1799, il reprit les hostilités ; la lutte finale eut lieu en 1803. Le 3 septembre, un traître vendit sa patrie pour douze bourses, environ 7,500 francs. Les sentiers de la montagne furent livrés à Veli-Pacha. Le 12 décembre, les Souliotes capitulèrent et obtinrent la faculté de se diriger sur Parga. Depuis trois ans, les îles ioniennes avaient été placées sous la dépendance de la Russie. Les Souliotes passèrent à Sainte-Maure et à Corfou ; là ils vécurent pendant dix-sept ans de la charité publique ou s’enrôlèrent au service des maîtres que leur donnèrent successivement les vicissitudes de la politique. En 1820, quand Ismaël attendait de la flotte ottomane sa grosse artillerie et ses munitions, il songea, pour garder ses communications souvent attaquées par les partisans d’Ali, à rappeler de Corfou les Souliotes. Les exilés traitèrent avec le capitan-bey et furent débarqués en Albanie ; mais bientôt l’or du vieil Ali les gagna. Le pacha de Janina leur fit compter 2,000 bourses, environ 1 million de francs, et promit de leur rendre les positions fortifiées qu’avaient occupées leurs pères. Dans la nuit du 12 décembre 1820, les Souliotes quittèrent subitement le camp du séraskier et marchèrent rapidement vers Souli. Huit jours après, ils étaient en possession du