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de leur salut : ils n’auraient pas osé leur prédire le triomphe. La mort d’Ali-Pacha, le rassemblement de forces imposantes en Thessalie, l’activité des escadres légères envoyées au secours du sultan par les régences de la côte d’Afrique, le bonheur avec lequel le gros de la flotte ottomane avait réussi, depuis l’expédition infructueuse de Samos, à se soustraire aux attaques des brûlots, l’épuisement des ressources financières, la turbulence des masses, les divisions des chefs, tout se réunissait pour paralyser la défense, tout tendait à démoraliser les cœurs. Ce fut en cet instant critique, un des plus graves qu’ait traversés la Grèce, qu’on vit l’héroïsme d’un simple capitaine ramener la confiance et l’ascendant sous les drapeaux de la patrie.

Le gouvernement de Corinthe avait fait passer quelques pièces de canon à Logothétis ; le monothète n’avait pu obtenir que la flotte grecque vînt s’opposer à l’envoi des troupes de la Porte. Le 11 avril 1822, le capitan-pacha Kara-Ali arrivait dans le canal de Chio ; le lendemain, il mettait à terre 7,000 hommes. Les Grecs cette fois firent peu de résistance. Logothétis et ses soldats trouvèrent un refuge à bord de quelques navires ipsariotes ; la malheureuse population qu’ils avaient compromise demeura tout entière à la merci des Turcs exaspérés : 40,000 personnes massacrées sans pitié ou vendues comme esclaves sur les marchés de l’Asie-Mineure payèrent le succès éphémère de Logothétis. Quand le dictateur de Samos avait débarqué à Chio, il y avait trouvé près de 100,000 habitans ; quand les Turcs se retirèrent de cette île, on y eût à peine compté 30,000 âmes. Les Samiens, indignés, dégradèrent et exilèrent le chef dont la téméraire tentative avait eu cette effroyable issue ; plus tard, le gouvernement d’Hydra rendit à Logothétis son autorité. Il fit bien, car les Hydriotes étaient assurément plus coupables que cet homme énergique ; si Chio avait été dévastée, c’était moins parce qu’on l’avait soulevée que parce qu’on ne l’avait pas secourue.

Ce ne fut que le 10 mai 1822 que la flotte grecque, attirée par les désastreuses rumeurs qui s’étaient répandues dans tout l’Archipel, prit la mer à son tour ; elle se composait de cinquante-six voiles et était commandée par André Miaulis. Confiant dans la désorganisation de la marine grecque qu’il avait appris à braver, le capitan-pacha vit approcher sans crainte, le 31 mai 1822, la flotte de Miaulis. Il appareilla sur-le-champ, et se porta au-devant de l’ennemi. Pendant trois jours, les deux flottes s’observèrent, se canonnèrent, le tout sans résultat. Plusieurs brûlots furent lancés contre la flotte turque ; la brise était fraîche, aucun brûlot ne réussit à incendier un vaisseau ottoman. Les Grecs retournèrent découragés à Ipsara, les Turcs allèrent achever leur ramazan au mouillage