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russe, c’était un rigoureux internat qui supprimait autant que possible les vacances et les rapports avec la famille ; on eût dit que Catherine considérait la société de son temps comme en proie à une contagieuse corruption, et qu’elle croyait ne pouvoir élever une génération pure et chaste qu’à cette condition. Elle entourait d’une tendresse presque maternelle cette jeunesse captive, elle comblait d’honneurs et de caresses les élèves les plus distinguées, et les autorisait à porter toute leur vie, pendu à leur côté, le chiffre en or de l’impératrice. Elle prenait plaisir à venir se délasser ou se purifier au contact de ces innocences ; comme Mme de Maintenon, elle aimait à leur faire représenter devant elle des pièces françaises. En un mot, l’existence que menaient les jeunes élèves de la Résurrection, c’était la vie du cloître avec une échappée sur les splendeurs et les séductions des cours, — la vie du couvent, mais d’un couvent qui avait pour abbesse la grande Catherine.

Son œuvre n’était donc point parfaite : elle nourrissait chez ses élèves des rivalités, des prétentions, déjà surannées, de castes et de classes ; elle voulait se passer de la collaboration des parens dans l’éducation des enfans, elle obéissait à une préoccupation trop étroite des exigences immédiates de la vie. Pourtant c’était un progrès. Le luxe même que déployait Catherine II dans toutes ses créations, luxe qui pouvait avoir une influence fâcheuse sur de jeunes personnes pauvres, à qui une dot de 2,000 roubles ne devait point assurer la fortune, servait du moins à éveiller l’opinion et à relever aux yeux de la nation russe l’importance d’une question si négligée jusqu’alors, l’éducation des femmes. En outre, malgré ce mot de couvent, il ne faut pas perdre de vue que nous assistons ici à la première tentative d’éducation laïque. On ne concevait alors en Russie, même près Pierre le Grand, que l’enseignement donné par le clergé. Les parens pleuraient quand on les forçait à conduire leurs enfans dans d’autres écoles, comme au temps de saint Vladimir les mères russes se désespéraient de voir pour la première fois leurs fils obligés d’apprendre cette dangereuse espèce de sorcellerie, la lecture et l’écriture.

Une autre impératrice donna un développement plus considérable à l’idée de Catherine. Maria-Feodorovna (Sophie de Wurtemberg), la veuve de Paul Ier, se consacra tout entière à la fondation d’hôpitaux, de salles d’asile, surtout d’établissemens d’éducation pour les jeunes filles. L’immense fortune qu’elle attribua par testament à ces œuvres de bienfaisance est aujourd’hui entre les mains d’une administration spéciale, le département de l’impératrice Marie, qui constitue la quatrième section de la chancellerie de l’empereur.