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français ; la leçon a lieu en russe, mais la maîtresse a déjà soin de donner ensuite la traduction française pour faire l’éducation de l’oreille. C’est là qu’on peut voir déjà la facilité extrême avec laquelle les organes russes s’accommodent de notre langue ; il y a une différence énorme de prononciation entre une petite fille d’origine russe et sa condisciple d’origine allemande ; mais c’est là qu’on peut voir aussi combien notre grammaire, qui nous paraît si simple, et que les étrangers, selon nous, doivent apprendre en naissant, pour nous éviter la peine d’apprendre la leur, présente de difficultés et de singularités en apparence capricieuses. Que de sons différens ne représente pas la lettre e ! Pourquoi dans la même phrase prononçons-nous d’une façon différente ces deux mots écrits de la même façon : nous portions, des portions ? Et mille autres chicanes grammaticales ! On habitue aussi les enfans à faire rapidement des traductions orales du russe en français ou du français en russe. Pendant qu’on fait réciter aux unes des morceaux de français, d’autres, armées de la craie, les écrivent sur le tableau noir. C’est merveille de voir avec quelle conscience une fillette de onze ou douze ans, stimulée par la présence de l’inspecteur, peut-être aussi par celle de l’étranger, trace les pleins et les déliés, aligne ses mots, souligne, quand il y a lieu, ou les verbes ou les substantifs, sans paraître voir ou écouter autre chose. Dans les classes supérieures, la leçon se fait en français ; questions du maître, réponses de l’élève, se croisent en cette langue. À la perfection de la prononciation, on pourrait se croire parfois dans une classe française où le français se parlerait sans accent provincial. C’est en français que le professeur fait sa leçon sur la biographie de Voltaire ou sur une tragédie de Racine : c’est en français que les élèves sont tenues de rendre compte de leurs lectures.

Mais l’heure sonne, et l’on se répand dans les corridors pour jouir du repos de cinq minutes. C’est alors une animation, un mouvement bien explicable quand on est resté près d’une heure assis, le bourdonnement d’une vaste ruche d’abeilles. Grandes et petites, élèves des classes supérieures et inférieures se mélangent, se fréquentent librement ; on n’a pas trouvé nécessaire de séparer et de parquer les différens âges. Au milieu de cette foule bruyante circulent l’inspecteur et l’inspectrice, accueillis sur leur passage par ces petites génuflexions dont toutes les écolières russes ont l’habitude ; maîtres et maîtresses se rassemblent pour échanger des poignées de main et causer comme de bons collègues. Les dames sont en robe bleue ; le bleu est la couleur de l’instruction publique, mais on a le choix entre toutes les nuances. Les maîtres ont l’habit bleu nombre à boutons d’or, comme en portaient chez nous les élégans