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gymnase n’est-elle pas dans une situation que toute jeune fille pourrait envier ? Elle vit de son travail, souvent elle en fait vivre les autres ; elle a la vraie émancipation, la vraie indépendance[1]. Elle n’a pas besoin de faire un mariage précipité, irréfléchi, pour avoir ce qu’on appelle une position ; elle-même en a conquis une, pour laquelle elle n’est redevable à personne. Rien ne la presse, Car elle n’est point à charge à sa famille. Quand même le mariage devrait lui faire perdre sa situation officielle, elle n’en conserve pas moins une valeur intellectuelle et morale qui lui donne le droit de choisir dans certains rangs. Considérons celle même qui a été chercher au gymnase ou dans les cours pédagogiques non une carrière, dont elle n’a pas besoin, mais simplement la culture intellectuelle ; comme elle est mieux armée d’instruction, en attendant l’expérience que rien ne remplace pour toutes les luttes de la vie ! Elle dispose de plus de moyens pour apprécier et pour connaître les hommes. Entre une jeune fille instruite et les jeunes hommes, les sujets d’entretien se multiplient : tant d’objets d’étude sont communs ! Les qualités, les défauts de l’intelligence ou du cœur se révèlent mieux dans des conversations plus variées. On cesse d’être une énigme l’un pour l’autre ; si l’on se choisit, c’est en connaissance de cause.

Tout le monde chez nous a en tête les Précieuses, qui pourtant n’étaient pas de vraies précieuses, et les Femmes savantes, qui n’étaient pas de vraies savantes. On craint qu’une jeune fille qui aura appris les langues, l’histoire contemporaine et les équations du premier degré ne perde quelque chose de sa grâce native. On dirait volontiers avec de Maistre : « Le plus grand défaut d’une femme, c’est d’être un homme, et c’est vouloir être un homme que de vouloir être savant… Permis à une femme de ne pas ignorer que Pékin n’est pas en Europe et qu’Alexandre le Grand ne demanda pas en mariage une nièce de Louis XIV… Une coquette est bien plus facile à marier qu’une savante. » Ce serait ici le lieu de répondre avec M. Dupanloup. : « Quoi ! vous voulez détruire

  1. Voyez la Revue du 1er août 1872, les Femmes à l’université de Zurich. Sur les 63 étudiantes de cette université, on comptait alors 54 Russes, dont 44 pour la médecine et 10 pour la philosophie. En Russie même, les femmes vont chercher l’enseignement supérieur, non-seulement aux cours pédagogiques, mais aux universités. La Feuille pédagogique, dans son numéro de janvier, les défend contre M. Bischoff, professeur à l’université de Munich, qui, au nom de l’anatomie cérébrale, refuse aux femmes les aptitudes nécessaires pour l’instruction supérieure. Grâce à ces fortes études, les jeunes filles russes voient s’ouvrir devant elles de nouvelles carrières. En même temps qu’elles font reconnaître leur droit à l’exercice de la médecine, le gouvernement russe les accepte dans les télégraphes et dans, d’autres administrations sur le pied d’égalité avec les hommes.