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principe, on en amenait par wagons de la Rivière-Platte ; depuis on a creusé des puits profonds qui atteignent des nappes d’eau douce. Cette contrée est d’ailleurs parcourue par les tribus indiennes, contre lesquelles les colons européens ont souvent à se défendre.

La station d’Ogden est à peu près le point central du chemin de fer du Pacifique. De là part à destination de la ville du Lac-Salé un embranchement construit par une compagnie locale dont l’apôtre Brigham Young est le président ; c’est là aussi qu’est la limite commune aux deux compagnies du Central Pacific et de Union Pacific. Au-delà commence le grand désert, que les pluies transforment en marais chaque année. On franchit les montagnes de Humboldt à l’altitude de 1,885 mètres. On traverse un plateau complètement aride et désolé, puis on arrive à la Sierra-Nevada, dont la crête est à 2,148 mètres de hauteur. Il ne reste plus qu’à descendre par des pentes rapides dans la belle plaine du Sacramento. La chaîne de la Sierra-Nevada, boisée sur presque toute son étendue, est la partie de la ligne où les ingénieurs rencontrèrent les plus graves difficultés ; les flancs des vallons, inclinés à 45 degrés, sont formés d’éboulis granitiques sur lesquels il était souvent impossible de dresser une plate-forme de 4 mètres de largeur. Les tunnels sont nombreux, mais très courts. On a mis quatre ans à construire les 200 kilomètres de cette section, tandis que dans la région des lacs on exécutait la même longueur de voie en quatre mois. Toute cette portion est l’œuvre d’ouvriers chinois. Dociles et consciencieux, ces Asiatiques se contentaient en outre d’un salaire bien moindre que les ouvriers américains. La Sierra-Nevada présentait encore un obstacle d’un autre genre. L’altitude est telle que la neige s’y amoncelle sur de grandes épaisseurs, surtout quand elle est refoulée par le vent dans le creux des vallons ; quelquefois il se produit de véritables avalanches. Le chemin de fer risquait donc d’être fréquemment interrompu ; on y a remédié en couvrant la voie d’un hangar en charpente avec un toit fort raide sur lesquels les avalanches, même les quartiers de roche qu’elles entraînent, rebondissent sans produire de dégâts. C’est un modèle qu’il pourrait être utile d’imiter en certaines parties du réseau européen.

Tel qu’il est et malgré les imperfections d’une construction hâtive, le chemin de fer du Pacifique est une œuvre des plus remarquables. Comme longueur, c’est à peu près la distance de Paris à Moscou ; mais le plus long trajet que l’on puisse parcourir en Europe, de Cadix à Helsingfors en Finlande, par Madrid, Paris, Berlin et Strasbourg, est encore beaucoup plus court que le trajet de New-York à San-Francisco. Tandis qu’en Europe, avec un climat comparable à celui des États-Unis, nos railways atteignent rarement l’altitude de 1,000 mètres, voilà une ligne qui, sur 2,000 kilomètres