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conforme à la vérité comme aux grands intérêts de mon pays ; mais, comme l’a dit un historien qui est mon garant en histoire, « tout ce qui s’accomplit s’explique, et tout ce qui prévaut a sa raison d’être. » Eh bien ! malgré les obstacles de tout genre et les passions déchaînées, Grégoire VII a prévalu sur l’empereur Henri IV ; la papauté a triomphé de l’empire dans la plus grande lutte dont l’histoire ait gardé le souvenir[1]. C’est le phénomène historique dont l’explication est agitée depuis tant d’années, et dont l’investigation sera l’objet de ces études. Remarquons toutefois que, dans cette longue et dramatique lutte du sacerdoce et de l’empire, si les fidèles furent pour le pape contre l’empereur dans la période grégorienne, si sous Innocent III l’opinion publique força Philippe-Auguste à céder, si sous l’empereur Frédéric II Grégoire IX et Innocent IV eurent encore assez de puissance pour détacher les peuples d’une race illustrée par le génie et l’héroïsme, au XIVe siècle au contraire nous voyons les rois prendre appui sur les peuples contre les prétentions politiques du saint-siège. Tout cela s’explique et se justifie. A la doctrine de Boniface VIII et du livre célèbre de Regimine principum s’est substituée la doctrine qui a eu pour organe, dans l’ordre civil, le Traité de l’autorité des rois de Denis Talon, et dans l’ordre ecclésiastique la déclaration du clergé de France de 1682, si admirablement défendue par Bossuet[2] ; mais la cause de Grégoire VII n’en fut pas moins la meilleure en son temps, du moins parce qu’elle

  1. Ce triomphe arrachait à Macaulay les éloquentes paroles que tout le monde a lues avec un sentiment d’émotion profonde dans la Revue d’Edimbourg d’octobre 1840, au sujet de l’Histoire de la papauté de M. Ranke. Voyez Essays, critical and miscellaneous, by T. Babington Macaulay ; Paris, Baudry, 1843, p. 401.
  2. On lit dans le de Regimine principum, dont les premiers livres sont attribués à saint Thomas d’Aquin, et dont les derniers sont d’un continuateur contemporain de Boniface VIII : « La puissance temporelle n’existe que par la puissance spirituelle, de même que le corps ne vit que par l’âme. Dès que la chrétienté fut constituée, un miracle força Constantin à céder la domination du monde au pape, qui la possédait déjà de droit, car Jésus-Christ était tout ensemble roi et prêtre. Depuis lors, les deux pouvoirs n’en font plus qu’un seul dans les mains du souverain pontife, à qui sont soumis tous les rois de la terre. » Au rebours de cette théorie théocratique, on lit dans le livre de Talon ces maximes qui ont été la règle de la monarchie française pendant mille ans : « L’église peut se considérer en deux manières, ou comme un corps politique, ou comme un corps mystique et sacré : comme un corps politique, par relation à l’état, dont elle est un membre ; comme un corps mystique par relation à Dieu. Comme un corps politique, c’est une assemblée de peuples unis sous les mêmes lois et sous un même chef temporel pour contribuer ensemble à la conservation de l’état et à la tranquillité publique ; comme un corps mystique, c’est une assemblée de fidèles unis par une même foi et sous un chef spirituel pour travailler ensemble à la gloire de Dieu et chacun à son salut. Ainsi deux puissances sont associées au gouvernement de l’église : la temporelle, qui est la première dans l’ordre naturel, car, comme dit un fameux évêque (saint Optat, de Milève), c’est l’église qui est dans l’état, et non l’état dans l’église, — et la spirituelle, qui est la première dans l’ordre surnaturel, mais qui ne s’applique qu’aux choses surnaturelles et divines, etc. »