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aujourd’hui. Restons dans ce grand sujet de Grégoire VII ; la matière est assez ample pour mériter un cours d’exploration approfondie. Je ne veux point toutefois refaire par le menu l’histoire du pontife, reprendre toutes les questions d’érudition aujourd’hui résolues, ni même discuter à nouveau toutes celles qui sont encore contestées, en un sujet dont la littérature est à cette heure si abondante et si riche. Un simple coup d’œil sur les deux excellens articles de M. Rocquain, dans le Journal des Savans de 1872, donnera la mesure de l’état des connaissances et des controverses de détail admises à cet égard. C’est sur des points de vue particuliers, ou non encore suffisamment éclaircis, que je voudrais diriger l’attention et faire ainsi franchir un pas de plus à la science, déjà si avancée en cette partie. L’exposition de quelques recherches personnelles sera donc l’objet principal de ces études en même temps que l’examen critique de certaines idées actuellement en circulation.


II

Il est tout d’abord acquis et convenu qu’une histoire de Grégoire VII ne saurait se borner à l’histoire des douze années de son pontificat, de 1073 à 1085. Il a été dans la destinée de ce grand personnage de régner sur l’église bien longtemps avant d’être pape, et de prolonger son empire bien longtemps après sa mort. Je considère comme une véritable lacune du bel ouvrage de M. Villemain de s’arrêter et de couper court à la mort de Grégoire VII. En isolant même le conflit de la papauté avec la maison de Franconie du conflit ouvert plus tard avec la maison de Souabe, ce qu’avec raison s’est abstenu de faire M. Mignet, il est impossible d’avoir une idée juste du premier et d’en fixer le caractère sans en poursuivre l’histoire jusqu’au traité de 1122, qui a mis fin à la célèbre querelle des investitures, sous l’empereur Henri V ; on n’en aurait même qu’une imparfaite notion, si l’on s’arrêtait à la mort tragique et misérable de l’empereur Henri IV (1106). Qu’on juge par ce seul et premier mot de l’étendue historique du sujet ! Eh bien ! l’ombre de Grégoire VII plane sur cette époque entière, son souffle anime tout jusqu’à la fin de la lutte ; il en a la gloire et la responsabilité. C’est ainsi que l’ont compris Gfrörer et Giesebrecht, et, envisagée sous cet aspect, la lutte est une vaste épopée qui est marquée souvent de l’empreinte fatidique des temps antiques et primitifs[1]. Le conflit

  1. Sauf quelques préjugés que je ne partage pas, cette épopée historique a été exposée avec beaucoup de talent par un écrivain belge dont le mérite et les travaux ne sont pas assez appréciés en France. Je veux parler de M. F. Laurent, professeur à l’université de Gand. Voyez ses Études sur l’histoire de l’humanité, t. VI : la Papauté et l’empire, 1865, in-8o.