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au niveau des civilisations étrangères les plus perfectionnées. « Nous avions la conviction, ajoutait le souverain, que, pour atteindre ce résultat, il fallait que ce qui existait de nom existât de fait, et que l’autorité gouvernementale émanât d’un même centre. »

Il ne faudrait pas croire cependant que la suppression de la féodalité japonaise fût complète. On a beau changer le nom des daïmiats, les grands chefs de l’aristocratie nationale, surtout dans les provinces du sud, conservent, dit-on, tout leur prestige et toute leur influence. A la fin de l’année dernière, le prince de Satzouma a été nommé généralissime des troupes du mikado. Ce choix paraît avoir eu pour objet de donner une satisfaction au clan que le prince représente, et qui ne compte pas moins de 8 millions d’individus. Le mikado ne semble pas oublier les services que lui ont rendus les grands daïmios du sud dans sa lutte contre le taïcoun, et il compte, dit-on, sur leur concours pour faire prévaloir la politique inaugurée depuis 1868.

Suivant certains observateurs, le Japon, bien loin de suivre une voie rétrograde, paraît tomber dans un excès contraire au système de routine qui est reproché au Céleste-Empire, et se jette dans les réformes et les idées européennes avec une ardeur qui ne serait peut-être pas suffisamment tempérée par un sentiment exact des besoins du pays. Ce qui est certain, c’est que le gouvernement japonais entreprend beaucoup de choses à la fois, et que chaque branche de l’administration semble rivaliser d’efforts pour s’assimiler les bienfaits de la civilisation occidentale. Le ministre de l’instruction publique juge avec raison qu’il faut introduire la connaissance des langues étrangères pour élever le niveau des études. Aussitôt on se met à la recherche de professeurs, et presque tous ceux qui se présentent sont bien accueillis. Le ministère des travaux publics, à l’instigation d’un Anglais, décide d’introduire au Japon des voies de communication rapides. Aussitôt on déploie une carte, et, séante tenante, on fait des contrats pour 150 ou 200 lieues de chemins de fer. Le grand conseil, désireux de lutter contre les préjugés qui existeraient encore à l’égard des nations étrangères, prend une mesure excellente en elle-même : il invite chaque clan à désigner un certain nombre de jeunes gens qui doivent aller, aux frais de l’état, en Amérique et en Europe pour s’y instruire les uns « par les études, » les autres « par la vue ; » mais tout le monde veut voyager dans de si belles conditions, et en 1871 il y avait près de cinq cents Japonais qui circulaient sur tous les points du globe avec un traitement de 5,000 francs par an, sans compter les frais de voyage. C’est ainsi qu’on a vu plusieurs journaux européens, annoncer tous les jours l’arrivée de prétendues missions japonaises.