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aux regards de ses sujets, mais encore à ceux des étrangers eux-mêmes ! D’après l’antique tradition japonaise, le mikado, considéré comme descendant des dieux et comme participant de la nature divine de ses ancêtres, était en communication directe avec les régions célestes qui inspiraient ses actes, et jamais cet être supérieur ne devait être souillé par le regard des mortels. Dans les rares occasions où il était obligé de présider aux cérémonies du culte, il ne sortait du palais de Kioto que rigoureusement enfermé dans une chaise à porteurs, qui lui permettait de voir sans être vu. Par surcroît de précaution, sur tout le parcours de son cortège, les portes et les fenêtres étaient fermées, et ceux des habitans qui se trouvaient dans les rues devaient, sous peine de mort, se prosterner la face contre terre. En 1871, tout cela fut changé. L’on vit le mikado circuler, comme un souverain d’Europe, dans les rues de Yeddo, en calèche découverte, et n’ayant pour escorte qu’un détachement de 30 ou 40 cavaliers équipés à l’européenne. Sur son passage, les postes lui rendaient les honneurs militaires sans se prosterner, et les habitans eux-mêmes n’étaient plus obligés de donner au monarque cette marque extérieure de respect. C’était là une véritable révolution dans les mœurs du pays ; au point de vue des relations internationales, on ne pouvait que s’en féliciter.

La fête du mikado, célébrée le 4 novembre 1871, fut marquée à Yeddo par une innovation qui n’excita pas moins de surprise. Le souverain passa une revue des différens clans formant le noyau de l’armée impériale. Il y avait là cinq bataillons d’infanterie et quatre bataillons d’artillerie fort bien armés. Ils étaient équipés d’après des modèles se rapprochant beaucoup de ceux de l’armée française, et les honneurs qu’ils rendirent au souverain offraient beaucoup d’analogie avec les usages de l’Europe. Le soir, les hauts dignitaires et les membres du corps diplomatique assistaient à un banquet présidé par le premier ministre, Sandjb Ou Daï Djin, et par Iwakoura, ministre des affaires étrangères.

Peu de jours après, le 16 novembre, une autre innovation produisait un effet favorable sur la colonie étrangère. Pour la première fois, le mikado parlait directement à un diplomate européen, et cette dérogation aux anciens usages de la cour japonaise se faisait en faveur du ministre de France, M. Max Outrey. Sur le point de quitter le Japon, après une mission utile et laborieuse, cet agent diplomatique obtint une audience de congé du souverain, dans un des pavillons du parc du Siro. Le mikado annonça lui-même à notre représentant l’envoi d’une ambassade extraordinaire en France. Il dit quelques paroles courtoises au sujet du président de la république, en exprimant la satisfaction avec laquelle le gouvernement japonais avait appris que l’ordre se rétablissait et que le calme