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La république espagnole n’a point encore conquis son rang parmi les puissances régulières, et, sauf les États-Unis et la Suisse, les cabinets semblent mettre une prudente lenteur à la reconnaître. Il s’est même produit ces jours derniers dans le parlement de Londres un incident qui témoignerait assez du peu d’empressement de l’Angleterre à s’engager au-delà de simples relations de fait avec la république de Madrid. Les autorités judiciaires anglaises se sont précisément fondées sur l’absence de toute reconnaissance officielle pour se refuser à des mesures de répression contre un comité carliste fonctionnant publiquement et organisant des souscriptions à Londres. En un mot, tout semble indiquer jusqu’ici que l’Europe n’est pas pressée de répondre aux éloquentes, aux pathétiques avances de M. Castelar et de sortir d’une certaine attitude de circonspection. La vraie question d’ailleurs n’est point dans les chancelleries, elle est en Espagne même, dans ce malheureux pays livré à toutes les agitations, à toutes les anxiétés de l’avenir le plus obscur.

La question de l’existence de la république espagnole est à Barcelone, à Malaga, aux camps des carlistes en Navarre et en Catalogne, dans les faubourgs de Madrid. Si la politique se faisait avec de bonnes intentions, les hommes qui sont au pouvoir ont certes montré de la modération et de la prudence. Ils n’ont rien fait pour exciter les passions, ils ont fait ce qu’ils ont pu pour les contenir, pour empêcher qu’une guerre civile de démagogie vînt se joindre à la guerre civile engagée par les carlistes ; ils ne peuvent cependant pas changer les conditions d’incohérence où ils vivent, d’où peut sortir à tout moment la crise qu’ils redoutent, qui a failli déjà éclater à plusieurs reprises et qu’on n’a pu conjurer qu’en subissant des pressions extérieures menaçantes. C’est en effet une situation pleine de sourdes complications. La république est née de l’alliance des anciens républicains et des radicaux qui avaient soutenu jusque-là la monarchie du roi Amédée, qui sont restés en majorité dans les cortès réunies à Madrid. Le premier ministère formé après le départ du roi était le résultat de ce rapprochement des deux partis dans la périlleuse vacance du pouvoir. Sous les dehors d’une alliance, c’était en réalité un antagonisme organisé qui devait inévitablement aboutir à la défaite d’un des deux élémens coalisés. Tout est là depuis un mois.

Une première fois il s’agissait, dans l’intérêt de l’unité du gouvernement, de créer un ministère républicain homogène, c’est-à-dire d’exclure les ministres radicaux qui étaient passés sans façon du dernier cabinet du roi Amédée dans le cabinet de la république naissante. Les radicaux résistaient naturellement et ils étaient appuyés par leurs amis de la majorité des cortès. Alors les républicains de Madrid, formant ce qu’on pourrait appeler le parti d’action, commençaient à s’agiter, prenaient leurs positions de combat, faisaient des barricades, menaçaient l’assemblée, et la bataille était sur le point de s’engager dans les