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rente de 3,400 livres à, l’entretien des élèves. On quitta la butte des Moulins, et l’on vint prendre gîte au quartier de l’Arsenal.

Ce petit institut en chambre, que l’on transportait dans de vastes bâtimens aujourd’hui convertis en caserne, fut en réalité la maison-mère et le prototype des écoles de sourds-muets qui s’élevèrent successivement dans toutes les parties du monde, et d’abord en Autriche. La gloire en revient tout entière à l’initiative persistante d’un homme pauvre, humble, obscur, dont rien ne lassa le courage et que l’amour du bien dévorait. La seconde maison française fut fondée à Bordeaux en 1783 par l’archevêque Champion de Cicé, qui envoya l’abbé Sicard à Paris, afin que celui-ci pût recevoir les leçons et apprendre la méthode de l’abbé de l’Épée. Sicard revint à Bordeaux en 1785 et fut rappelé à Paris en avril 1790 pour prendre la succession de l’abbé de l’Épée, qui était mort le 23 décembre 1789. Le nouveau directeur était un prêtre fort intelligent et passionné pour l’œuvre à laquelle il allait se vouer. Il paraît avoir été fort ardent en toutes choses et avoir conservé dans ses façons d’être la vive impulsion qu’il devait à son origine méridionale. Il ne tarda pas à reconnaître le terrain sur lequel il avait à se mouvoir, et il excella bientôt dans une mise eh scène qui sans doute est nécessaire à Paris, où la curiosité blasée a toujours besoin d’être surexcitée, même lorsqu’il s’agit de venir en aide aux entreprises les meilleures. Toutefois il ne put échapper aux poursuites dont la plupart des membres du clergé étaient l’objet, et dans ces jours de confusion il fut plusieurs fois arrêté et emprisonné. Il était à l’Abbaye pendant les sinistres journées de septembre 1792 ; il n’échappa aux massacres que par une sorte de miracle. La relation qu’il a écrite de sa captivité, malgré le côté personnel et trop extérieur qui la dépare, est une des pages les plus curieuses de notre histoire urbaine[1].

Pourtant la révolution n’avait point dépossédé les sourds-muets ; loin de là, une loi des 21-29 juillet 1791 les avait confirmés dans la jouissance de l’ancien couvent des Célestins, mais en leur adjoignant les jeunes aveugles par une contradiction que l’on s’explique difficilement, car l’enseignement qui convient aux uns est fatalement stérile pour les autres. Cette étrange et déplorable confusion ne fut pas de longue durée : le 25 pluviôse an II (13 février 1794), un décret prononça la séparation des deux écoles, qui n’auraient jamais dû être réunies, et le séminaire de Saint-Magloire fut attribué à l’institution des sourds-muets ; la même année, les comités

  1. Relation adressée par M. l’abbé Sicard, instituteur des sourds-muets, à un de ses amis sur les dangers qu’il a courus les 2 et 3 septembre 1799. — Collection des mémoires relatifs à la révolution française, t. XXII, p. 85.