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facultés, semblaient croître avec l’âge sans en recevoir encore aucune atteinte sensible. C’est alors que pour la première fois ses amis et son pays songèrent à lui comme chef incontesté du gouvernement. Les circonstances étaient critiques. La nation s’était lancée avec une aveugle précipitation dans la guerre contre la Russie, et des retards souvent inévitables, comme des échecs et des mécomptes imprévus, exaspéraient l’opinion surexcitée. Lord Aberdeen, chef du cabinet, portait au service de son pays toute la supériorité que donnent une longue expérience, une rare capacité pour les questions internationales, une loyauté et une élévation de caractère incomparables ; mais il avait vu de près, très jeune, les horreurs de la guerre, et cette folie suprême de l’humanité lui inspirait la plus profonde aversion. Il ne s’était point laissé entraîner d’ailleurs sans de graves scrupules dans un conflit qui devait, quel qu’en fût le résultat, convertir pour longtemps en ennemi de l’Angleterre un de ses plus puissans alliés. Toutefois, la lutte engagée, il était fort naturel que le pays en souhaitât le succès avec passion, et qu’il s’adressât de préférence à ceux que leur goût, leurs habitudes d’esprit et leur aptitude spéciale lui désignaient comme les plus propres à l’assurer. Lord Palmerston accepta le mandat avec empressement et l’accomplit pleinement. Rendons hommage en passant à cette noble et patiente ambition qui ne prétendit au premier rang qu’après avoir épuisé, durant un demi-siècle, toutes les épreuves. Nous nous étonnons souvent de voir l’Angleterre résoudre, sans convulsions violentes, tant de problèmes sociaux et politiques qui ne s’élaborent chez nous qu’avec la guerre civile, l’incendie de nos villes et les plus désastreuses aventures au dehors. N’oublions point avec quelle jalouse circonspection elle accorde sa confiance soit aux hommes, soit aux classes qu’elle appelle au périlleux honneur de la responsabilité politique. Être bien et dignement gouverné, préoccupation si médiocre pour nous, tel est son principal souci : tout le reste à ses yeux n’est que secondaire. L’entrée sans doute est ouverte à tous, mais l’accès reste sévèrement interdit à quiconque n’a point donné des garanties en rapport avec l’importance vitale de la tâche assignée. Ce n’est point à l’équipage tout entier ou au premier venu tiré de son sein qu’elle attribue le commandement du plus faible de ses bâtimens ; elle ne disposera pas plus légèrement de la direction du navire qui porte sa fortune. Appelé au poste de premier ministre, lord Palmerston le conserva pendant plus de dix ans, sauf une année d’intervalle. Sa présence marqua une trêve dans la lutte sérieuse des partis comme dans la discussion des réformes constitutionnelles. Les libéraux voyaient en lui un allié toujours fidèle, un chef timide, mais convaincu. Les conservateurs