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Il serait difficile de caractériser la politique extérieure de lord Palmerston sans parler du blue-book, qui en était la fidèle exposition et quelquefois le mobile même. L’Angleterre est la première nation qui ait contracté la louable habitude de soumettre chaque année au parlement et au public une série de documens officiels sur ses relations au dehors ; mais sous lord Palmerston cette publication prenait des proportions toutes nouvelles et un aspect tout différent. Les conflits sans cesse renaissans dans lesquels il se précipitait, les querelles personnelles où ils aboutissaient trop souvent, en faisaient alors les principaux frais. Dieu sait à quelles extrémités il fallait recourir pour que le beau rôle demeurât toujours à l’Angleterre et à son ministre ! Tantôt c’était une communication marquée « particulière et confidentielle, » et garantie à ce titre contre toute publicité par les règles universelles de la diplomatie, qui était mise en relief sans le moindre concert avec l’auteur ; tantôt c’étaient des paragraphes entiers insérés dans des dépêches étrangères pour en dénaturer l’esprit plus encore que le texte, et pour fournir matière à des réfutations irréfragables ; tantôt c’étaient des lettres d’agens éloignés dont le sens était perverti par des erreurs de copiste et d’impression fort regrettables, au point de présenter au public le contre-pied même de ce qu’ils avaient écrit, et de faire reporter sur eux des responsabilités dont le gouvernement central avait intérêt à se décharger. Il fallait accepter ces déplorables expédiens ou s’engager, en les signalant, dans des controverses et des querelles nouvelles, et en dehors du blue-book les représentans des puissances étrangères à Londres avaient assez à faire pour maintenir avec le secrétaire d’état des relations personnelles conformes aux bienséances. Le plus agressif des hommes, lord Palmerston était aussi le plus impressionnable. L’équilibre de ses grandes facultés, dont il était si admirablement le maître dans toutes les épreuves parlementaires, ne résistait point aux discussions diplomatiques les plus élémentaires. Ne rappelons point les fâcheux emportemens de son entretien et de sa correspondance, reproduits avec une singulière fidélité, dès le lendemain, dans les nombreux journaux dont il se servait. Un pareil vocabulaire nuit surtout à celui qui a le tort d’y recourir ; mais il rendait bien difficile la tâche des jeunes diplomates qui se trouvaient en relations avec lui, n’apportant que le plus sincère désir de témoigner au représentant d’une si grande puissance la déférence qui lui était due, et de préserver leurs deux pays des maux incalculables d’une rupture flagrante. Il est vrai que les ambassadeurs auxquels leur âge et leur illustration personnelle devaient assurer au moins les égards ordinaires n’étaient guère mieux partagés. En