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III

La dernière partie de la correspondance de lord Palmerston publiée jusqu’ici se rapporte à une époque remplie de pénibles souvenirs pour la France, mais les révélations ainsi fournies n’en sont que plus dignes d’une méditation sérieuse. Nous aurons à ce propos à parler d’un des personnages les plus célèbres de notre temps, que les circonstances nous ont permis d’approcher d’assez près. Nous le ferons avec une franchise entière, pénétré toujours d’un reconnaissant souvenir pour l’accueil que nous avons reçu de lui dans des momens fort douloureux, porté, sans aucun effort, à rendre hommage aux grandes et attachantes qualités qui relevaient si haut au-dessus de tout ce qui l’entourait, mais convaincu que l’engouement passionné qu’il a jadis inspiré à notre pays ne saurait être attribué qu’aux impressions les plus erronées. Quoi qu’il en soit, le prestige des victoires rapides de Méhémet-Ali, son goût, éclairé pour tous les produits de la civilisation occidentale, ses prévenances pour le commerce de la France et pour tous nos représentans, avaient exalté chez nous le sentiment public en sa faveur, au point de créer une de ces alliances qui, pour n’être écrites nulle part, n’en sont pas moins compromettantes ni même parfois moins obligatoires. Aussi quand, sous l’ardente instigation de lord Palmerston, les grandes cours se prononçaient ouvertement contre une situation qui en définitive constituait un pacha révolté arbitre des destinées de l’empire ottoman et de la paix européenne, notre gouvernement, entraîné en sens contraire par un courant irrésistible, épousait de plus en plus sa cause et ses intérêts. En 1839, la guerre éclata de nouveau, la victoire de Nezib ouvrit encore une fois à Ibrahim le chemin de Constantinople, et la trahison livra toute la flotte ottomane à Méhémet-Ali. Cette fois, grâce surtout à la fermeté de l’amiral Roussin, ce fut à tous ses alliés que la Porte s’adressa dans sa détresse, et une note collective des cinq représentans lui promit, au nom de leurs cours, la protection désirée. Le traité d’Unkiar-Skelessi se trouva ainsi virtuellement écarté ; mais, la France s’engageait aussi, en principe du moins, à coopérer aux mesures qui seraient concertées entre ses alliés contre Méhémet-Ali.

La situation devint, pour notre gouvernement et pour notre diplomatie, d’une perplexité extrême. La crise récente justifiait plus que jamais l’animosité de lord Palmerston contre le pacha, et il s’exaltait d’autant plus dans ce sentiment que les sympathies de la France se prononçaient plus vivement dans l’autre sens. La