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admissible pour cette violation de toutes les règles de la courtoisie internationale, et nous sommes réduits encore une fois à conclure que le tempérament de lord Palmerston le portait à ne trouver qu’un mobile de plus dans les légitimes ressentimens qu’il provoquait chez ses alliés, dans les difficultés intérieures qu’il leur suscitait à plaisir. Cependant le succès justifia complètement en Orient sa téméraire entreprise. Toutes les prévisions de la France furent déçues, toutes celles de l’Angleterre s’accomplirent merveilleusement, et, devant le premier souffle de l’ouragan déchaîné contre lui, la fantasmagorie de la puissance de Méhémet-Ali s’évanouit comme par enchantement. Les informations précises et techniques que, mieux que personne, lord Palmerston savait recueillir lui avaient inspiré depuis longtemps une grande confiance dans l’efficacité des seuls moyens maritimes. Dès 1834, nous trouvons dans sa correspondance intime : « Méhémet-Ali ne peut pas faire la guerre en Asie-Mineure si ses communications par mer avec l’Égypte ne sont pas libres, et nous sommes toujours en mesure de couper celles-ci de la façon la plus efficace. » En effet, la croisière ne fut pas plus tôt établie que l’armée d’Ibrahim tomba en dissolution, et une terrible insurrection éclata contre elle en Syrie. Quelques engagemens sur la côte démontrèrent l’irrésistible supériorité de l’armement et de la discipline de l’Occident, et Saint-Jean-d’Acre, à qui le maréchal Soult lui-même avait attribué une force de résistance de premier ordre, succomba dans une seule et courte journée. Le triomphe de lord Palmerston fut donc complet et, nous n’hésitons point à le reconnaître, décisif pour le repos prolongé de l’Orient. Dispensé désormais des charges écrasantes d’un armement excessif, le jeune sultan Abdul-Medjid put poursuivre la salutaire réorganisation entreprise par son père. De son côté, l’Égypte, non moins cruellement accablée, put aussi respirer, et Méhémet-Ali est convenu avec nous que, maître héréditaire et incontesté du grenier de l’Orient, il pourrait goûter lui-même et faire goûter désormais à ses sujets un repos et un bien-être qui leur avaient été depuis longtemps inconnus. Les amis de lord Palmerston citèrent donc et citent encore son entreprise de 1840 comme le grand exploit de sa carrière ; mais l’Angleterre ne s’associa, il faut le reconnaître, qu’avec une réserve extrême et des scrupules manifestes à leurs cris de triomphe. Les procédés gratuitement mis en œuvre contre la France attristaient les esprits réfléchis, et le bon sens public ne vit pas sans regret la paix de l’Orient assurée aux dépens de la sécurité et de la bonne intelligence de l’Occident. Quelques mois après, lord Palmerston tombait du pouvoir avec ses collègues, et ce ne serait pas. trop d’avancer que, dans les élections où ils