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pour l’intervention du clergé romain dans l’élection ou dans la consécration religieuse qui jusqu’à son accomplissement devait suspendre l’effet de la nomination impériale. Les Indices Vaticani, cités par Baronius-Theiner, ne parlent que de la consécration romaine. Tel paraît être le sentiment de Jaffé. C’était en effet dans un synode à Worms, sous la présidence de l’empereur et avec la participation des députés de la ville et clergé de Rome, que Léon IX avait été proclamé pape, et non par un acte purement arbitraire de l’empereur. Il est certain du moins que le moine Hildebrand fut emmené par Léon IX à Rome[1], où immédiatement il fut créé cardinal sous-diacre de l’église romaine. Il n’a point empêché cependant Léon IX de commettre des fautes, et notamment celle de la guerre contre les Normands, où le pape conduisit de sa personne ses troupes à la bataille et fut fait prisonnier. Il n’y a pas trace de l’opposition qu’aurait faite Hildebrand à cette témérité politique compliquée d’une irrégularité canonique contre laquelle Pierre Damiani ne craignit pas de lever la voix pour la blâmer. Hildebrand était à coup sûr du même avis que Pierre, mais la prudence a dû lui fermer la bouche. Le moment où il exerça la plénitude de son influence dirigeante n’était pas encore venu en 1053.

C’est un type original et remarquable dans l’histoire que celui de Léon IX, et M. Villemain lui a consacré une étude particulière, qu’il a ornée de tout l’éclat de son talent d’écrivain. Léon IX était un saint dans la vie privée. Nul chrétien n’a plus vivement été pénétré de la foi. Son approche de Rome, ses appréhensions de responsabilité, la pureté de ses mœurs, sont de la primitive église et fournissent les scènes les plus édifiantes ; puis, dans la vie publique, Léon apporte les habitudes guerrières des prélats féodaux et notamment des évêques d’Allemagne, presque tous enfans de maisons nobles et puissantes, possesseurs de vastes domaines en leur église, habitués à les défendre par les armes, et souvent par nécessité, contre le brigandage de l’époque. Les mœurs guerrières des évêques du moyen âge sont un trait de caractère. Léon IX en montra l’exemple dans sa campagne contre Robert Guiscard, où l’habile et rusé Normand triompha du pontife, très saint homme, mais malhabile capitaine. Il paraît qu’il confia spécialement à Hildebrand la réforme et la surveillance des monastères romains, où s’étaient glissés le relâchement et même la corruption. Il faut lire dans

  1. M. Villemain et d’autres avec lui ont cru que Hildebrand était à ce moment abbé de Cluny. C’est une erreur démontrée aujourd’hui ; il parait même qu’il y a eu deux moines du nom d’Hildebrand dans ce monastère, ce qui amène des confusions dans les chroniques et légendes. Voyez l’article de M. Rocquain dans le Journal des Savans de 1872 déjà cité.