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Hongrois acheva de perdre dans l’opinion le gouvernement de l’impératrice Agnès, et tous s’entendirent pour tramer contre elle un pernicieux projet.

C’était vers l’an 1062. La cour était dans l’île de Saint-Suibert, sur le Rhin, non loin de Neuss. Auprès d’elle se trouvaient Otton de Nordheim, le margrave Ekbert de Brunswick, l’archevêque de Cologne, accompagnés d’autres prélats et princes. Un jour, après un grand festin, l’archevêque en gaîté proposa au jeune roi, alors âgé de douze ans à peine, de lui montrer un des bateaux de l’évêché, qu’il avait fait richement décorer. L’enfant, confiant et entraîné, accepta l’offre du prélat, et, accompagné des seigneurs qui étaient d’accord avec Annon, il monta dans le bateau épiscopal ; mais soudain les rameurs gagnèrent le large, et l’enfant, surpris d’une manœuvre où il discernait bien l’attentat dirigé contre lui, se jeta bravement dans le Rhin pour échapper à la violence dont il était l’objet. Le margrave Ekbert s’élança promptement après le roi pour le sauver de la rapidité du courant, et, non sans péril pour lui-même, il le ramena dans le bateau, qui poursuivit sa route vers Cologne, et où à force de caresses on parvint à lui faire oublier l’enlèvement qui l’arrachait à la tutelle de sa mère. L’évêque et les princes alléguèrent l’intérêt public pour se justifier d’avoir violé la majesté royale en saisissant de force la régence de la personne du roi, et l’impératrice, après avoir éclaté en une vive indignation, dédaignant de se plaindre davantage, fut demander à Dieu, dans un cloître, des consolations contre les outrages et l’injustice des hommes.

Agnès ne trouva ni sympathie ni protection en cour de Rome, car à l’occasion du fameux décret de Nicolas II elle avait montré des dispositions inquiétantes. L’évêque d’Augsbourg l’avait même poussée à une manifestation qui, dans les circonstances présentes, était une témérité, — manifestation qui devait se perdre en actes vains, n’étant soutenue par aucune entreprise en Italie, et qui toutefois, justement blâmée par Pierre Damien, excita de l’irritation chez Hildebrand ; M. Villemain en a dévoilé les détails avec intelligence[1]. Agnès avait fait plus encore. Nicolas II étant mort en juillet 1061, l’impératrice sollicitée par les évêques de Lombardie, la plupart simoniaques et concubinaires, fit élire, dans une réunion d’évêques et de princes convoqués à Bâle, l’évêque de Parme Cadalous, homme de médiocre réputation, qui se posa rival et antipape de l’élu des cardinaux romains, Anselme évêque de Lucques, couronné le 30 septembre 1061 sous le nom d’Alexandre II. Ce schisme engendra beaucoup de troubles malgré l’activité d’Hildebrand et

  1. Histoire de Grégoire VII, t. Ier, p, 336-337.