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combat, qui comprennent le casque avec son couvre-nuque articulé, la cotte de mailles doublée d’une épaisse couche de ouate, la cuirasse, les jambières et les brassards en mailles revêtus de lames de fer. Un secours inattendu leur est venu dans cette ville où ils n’osaient se fier à personne. Dans cette vie de dissipation que quelques-uns d’entre eux ont feint de mener jusqu’alors, le hasard d’une promenade au quartier des yoshivara les a conduits en présence de la malheureuse Vakaïto. Contrarié d’abord, puis rassuré par le dévoûment que l’ancienne servante d’Egna montre pour leur cause, Hori l’emploie comme espion pour surprendre les secrets de l’ennemi. Qui se méfierait d’une femme de cette misérable condition, dont la déchéance sociale n’est connue de personne ? Vakaïto attire chez elle des officiers du ministre Koono. A la faveur des repas joyeux et des libations de sakki, le plus muet des Japonais perd de sa réserve ; bientôt même la courtisane, à leur suite, passe quelques heures dans l’enceinte du palais du prince ; elle y observe les passages, la disposition des lieux, les habitudes des gens du logis, et chaque fois en rend à ses amis un compte fidèle. Les conjurés ont bientôt acquis une parfaite connaissance des dispositions de défense du palais, et leur chef, dressant un plan définitif de combat, distribue à chacun son rôle.

Le moment fixé pour l’attaque est enfin venu. Il fait une sombre nuit d’hiver ; toutefois le manteau de neige répandu sur le sol jette une clarté suffisante pour permettre de se reconnaître entre combattans. Dans ce même dessein, les conjurés se sont revêtus de djinn-baoris, manteaux se portant par-dessus l’armure, tous semblables, à grandes dentelures blanches et noires facilement visibles dans l’obscurité. Réunis pendant la première partie de la nuit au fond du hangar de leur complice, les quarante-sept guerriers reçoivent une dernière fois les instructions de leur chef, et, s’aidant les uns les autres, revêtent et assujettissent solidement les diverses pièces de leur armure ; puis, sortant par deux ou trois ruelles, ils se retrouvent un instant après au carrefour voisin pour se mettre en marche en un seul groupe. Après deux éclaireurs, Hori s’avance en tête de ses gens ; un sifflet de commandement pend à sa ceinture, et derrière lui un de ses hommes porte le taïko ou tambour de guerre. Le gros des combattans est serré derrière eux et dissimule autant que possible les longues lances et les crocs barbelés. Devant cette masse sombre, aux profils étranges, qui s’avance silencieuse sur la neige, les bourgeois attardés s’enfuient épouvantés ; les soldats de veille près des postes de police se blottissent dans leur réduit, et leur gosier desséché se refuse à articuler le qui-vive.