Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/702

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

certains fleuves. Leurs récits constatent l’existence sur toute la surface du littoral, à partir des montagnes, d’innombrables cours d’eau qui forment comme un réseau jeté entre de grandes rivières, depuis l’Oyapock, au sud, jusqu’au Maroni, à l’autre extrémité de la colonie. Cette partie du pays n’est qu’un vaste marécage entretenu par les débordemens des rivières et par les torrens qui tombent du ciel pendant l’hivernage. De novembre en avril, c’est-à-dire pendant la saison froide en Europe, la Guyane est sujette à des ondées diluviennes qui, vingt fois par jour, alternent brusquement avec la sécheresse d’un soleil ardent. Ces pluies pénètrent un sol couvert de détritus végétaux et forment sous cette couche en putréfaction des nappes humides sans cesse renouvelées. Viennent les mois d’été : le soleil exerce alors une puissance terrible ; il aspire l’humidité de la terre et la répand en miasmes pestilentiels. Pendant les premières semaines de cet empoisonnement périodique éclatent les fièvres pernicieuses : elles frappent de préférence les plus grands et les plus robustes et les emportent en quelques heures. Ensuite, quand les eaux ont été absorbées, la terre devient non-seulement sèche, mais brûlée, et passe à l’état de cendres. C’est le bon temps de l’année. Les fièvres ne disparaissent pas, mais elles sont relativement bénignes, et peuvent être combattues. Revient l’hivernage ; c’est l’époque de la grande humidité, c’est aussi celle où les dyssenteries deviennent une cause sérieuse de mortalité.

Les Africains et les Indiens indigènes résistent seuls à ces redoutables influences ; les Européens, même acclimatés, en sont tous affectés. Les créoles ne les bravent pas impunément, et, s’ils ne se retrempent pas en Europe, on les voit souvent languir, victimes d’un appauvrissement du sang. Ils sont faciles à reconnaître : pâles, amaigris, la langueur de leur démarche et le feu sombre de leur regard trahissent la maladie qui les mine. Quant aux nouveau-venus, aux étrangers de passage, tels qu’officiers, soldats, fonctionnaires civils, ouvriers de toute sorte et de toute origine, leur sort est fatal. La fièvre les décime, et l’unique remède est la fuite vers un ciel clément. Or ce changement de climat était la seule faveur qu’il fût impossible d’accorder aux transportés, car d’après les lois la libération des condamnés n’entraînait pas toujours leur retour en Europe ; ils étaient tenus de séjourner comme colons et concessionnaires libres dans le pays au moins pendant un certain nombre d’années. Aussi s’explique-t-on difficilement le choix de la Guyane française, à moins qu’il n’ait été dicté par la nécessité, nos îles des Antilles et celles de la mer des Indes étant des centres d’industrie fort restreints et trop riches pour qu’on y transportât nos bagnes, et la Nouvelle-Calédonie n’étant pas encore