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tandis que les autres par leurs crimes l’ont couvert de honte. Ces derniers sont dans la force de l’âge et sortent des rangs de la population habituée aux travaux manuels ; on les a condamnés pour crimes de droit commun, punissables des galères, et ces hommes, on se ferait un scrupule de les employer soit à des ouvrages de leurs métiers, soit à des travaux de terrassemens ! L’état les nourrit, les habille, les loge, et n’exigerait rien d’eux en échange !

La loi sur la transportation ne comporte pas, dit-on, le travail forcé. Et pourquoi ne le comporterait-elle pas ? La loi n’est pas toujours si discrète. Voyez celle qui régit l’armée : les soldats et les marins ne sont pas moins intéressans que les transportés sans doute ; la loi hésite-t-elle pourtant à leur imposer les travaux utiles ? Elle exige bien plus ; elle leur demande de s’exposer à des dangers d’où peuvent résulter la mutilation, les opérations de chirurgie les plus cruelles, les douleurs renouvelées de longs pansemens et souvent la mort. Les incendiaires, les pillards, les assassins d’otages, vivront, s’ils le veulent, en rentiers, tandis que les soldats seront souvent assujettis, entre les heures d’exercice et l’accomplissement des corvées journalières, à construire des routes, à creuser des canaux ? Qui donc oserait dire que leur dignité en sera atteinte ? Ce qui est digne, c’est de travailler, et ce qui est indigne, c’est de vivre à rien faire aux dépens d’autrui. Le respect de la « liberté » des transportés politiques qui va jusqu’à les maintenir dans l’oisiveté est un non-sens. La loi votée le 23 mars 1872 ne contribuera donc pas à rendre les transportés meilleurs ; elle aidera plutôt à développer leurs appétits malsains, leur audace criminelle et la stupidité malfaisante de leurs idées politiques par la conscience de l’indulgente faiblesse de la société.

Comment forcer les transportés au travail, lorsque les uns opposent un refus violent, les autres une inertie systématique ? C’est une question que nous n’avons pas à résoudre. L’état a mille moyens de se faire obéir : le premier est de le vouloir fermement ; il dispense en général de tous les autres ; il suffit à l’Angleterre, qui n’a pas nos scrupules et nos délicatesses, ce qui n’empêche pas qu’elle soit le pays du monde où l’on respecte le plus la liberté individuelle. Les Anglais regardent la révolte contre les lois comme un crime, et ils traitent les criminels comme des criminels, tout en ayant soin de ne pas confondre les écrits avec la rébellion à main armée ; mais comme les révolutions nous ont blasés, comme elles ont émoussé notre sens moral à ce point que les révoltes et les conspirations nous paraissent l’effet d’ambitions bien naturelles, dont le pouvoir est souvent le prix, comme nous confondons les simples écrits avec les voies de fait, nous sommes obligés d’élever les