Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 104.djvu/734

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moins pour les temps les plus rapprochés, les moyens dont la France pourrait disposer pour ce travail : le budget militaire de M. Thiers prouve que ce résultat même n’a été que très incomplètement obtenu. » — Il y a donc beaucoup de rhétorique dans le dédain dont les journaux allemands font étalage à notre égard.

Nous avons à tenir compte de leurs opinions sur notre pays, mais nous nous abuserions beaucoup en les prenant à la lettre. Aujourd’hui le gouvernement de l’empereur Guillaume témoigne à M. Thiers de la déférence et de l’estime ; les journaux allemands parlent d’une restauration monarchique en France comme d’un malheur public, ils semblent encourager « l’essai loyal, » et professent une véritable horreur pour M. le comte de Chambord. On en conclut qu’assez indifférente en réalité sur la forme du gouvernement français, l’Allemagne inclinerait vers la république et serait hostile à la monarchie. Ces déductions partent d’un esprit superficiel. L’intérêt de l’Allemagne est en dernière analyse le fond de toutes les opinions allemandes en fait de politique extérieure. Ces opinions peuvent être fausses ; mais, si les journaux allemands sont si indulgens pour la république et si hostiles à la monarchie, c’est vraisemblablement qu’ils croient la première moins dangereuse que la seconde pour l’empire allemand. Les Allemands ne désirent pas voir la France se décomposer et tomber dans la révolution chronique ; la révolution est contagieuse, les Allemands pourraient être forcés d’intervenir, et ils le souhaitent moins qu’on ne le croit en général ; mais, si l’on se met à leur place, il semble que le gouvernement français qui conviendrait le mieux à l’Allemagne serait, — république ou monarchie, — un gouvernement faible, contesté, combattu, usant son énergie à maintenir une apparence de pouvoir, cachant sous un ordre extérieur et une prospérité menteuse une décadence constante, trop incertain pour avoir des alliés, trop agité pour soutenir une guerre : l’anarchie décente et impuissante.

Il y a des Allemands, parmi les progressistes aussi bien que parmi les conservateurs, qui verraient avec une inquiétude réelle une ruine totale, une déchéance irrémédiable de la France. Tous sont d’accord pour maintenir les conditions de la paix de Versailles : c’est un point sur lequel il n’y a pour le moment aucune illusion à garder ; mais les premiers rêveraient une France libérale, régénérée, enthousiaste, présentant à l’Europe le type de la république pacifique et idéale, de l’état de l’avenir ; les seconds s’imaginent volontiers une France monarchique, recueillie, revenue aux traditions de son histoire, et donnant le modèle d’un état à la fois libéral et conservateur, qui serait en Europe un élément modérateur et un élément de progrès. Dans l’un et l’autre cas, la France exercerait,