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l’autre côté du Rhin quand on oppose la science ethnologique à la volonté des populations. La Suisse enfin est un des boulevards de la liberté européenne contre cette odieuse politique de conquête qui se couvre aujourd’hui du masque des idées modernes, et qui se vante d’affranchir les peuples au moment même où elle les opprime. À ce point de vue, il est permis de dire que le rejet de la révision de la constitution fédérale a été une victoire pour le parti français et une défaite pour le parti allemand.

Ce serait cependant une erreur que de réduire la question à ces termes simples, et de ne voir dans cette crise nationale que le combat du parti allemand avec le parti français. Ce serait même une imprudence ; car la révision de la constitution fédérale ne saurait être indéfiniment ajournée, et elle aura toujours pour résultat d’affaiblir les cantons au profit du pouvoir central. En ce moment même, les chambres fédérales élues depuis le rejet de la nouvelle constitution, et composées en majeure partie de révisionistes, recommencent le travail de leurs devancières. Il faut bien reconnaître que le plébiscite de l’année dernière n’a rien eu d’irrévocable et de décisif. Beaucoup de causes diverses y ont contribué ; beaucoup d’opinions et d’intérêts de diverses natures se sont coalisés de part et d’autre pour amener ce résultat. Si l’influence allemande est entrée pour quelque chose dans l’entreprise de la révision, elle a eu pour auxiliaires une foule d’autres influences très différentes et très peu favorables à l’ambition germanique. Si les secrets desseins du cabinet de Berlin s’accommodent d’une mesure qui, donnant à la Suisse une constitution plus unitaire, la prépare pour ainsi dire à se laisser entraîner dans le mouvement du grand corps germanique, il ne faudrait pas s’imaginer qu’aucun dessein pareil entrât dans la pensée des auteurs et des partisans de la révision. Lorsqu’ils réclamaient la centralisation militaire, l’unité de la législation civile et commerciale, le mariage civil, l’extension des travaux publics, l’abolition des privilèges municipaux et des entraves mises par les institutions locales à la liberté individuelle, ils s’inspiraient au contraire des idées les plus justes, des sentimens les plus patriotiques, des intérêts vraiment nationaux, et leur seul tort était de trop se hâter dans une voie encore incertaine et périlleuse. D’autre part, l’esprit sagement conservateur et le patriotisme alarmé de leurs adversaires s’unissaient, pour les combattre, à beaucoup d’opinions et de passions moins respectables, ou du moins absolument étrangères à la lutte du patriotisme helvétique contre les menaces de germanisation que le projet de révision pouvait contenir.

Ce serait donc faire une grossière injure au peuple suisse que de supposer que les 250,000 suffrages donnés par lui au projet de