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ne sera pas une cause de conflits. Ces démocrates absolus ne sauraient concevoir que la volonté nationale se fît échec à elle-même, et ceux qui admettent le vote des cantons pour les mesures constitutionnelles ne veulent pas l’étendre à de simples mesures législatives. Passe pour la constitution, qui est un contrat entre des états souverains : les cantons, qui sont partie au contrat, ont nécessairement voix au chapitre ; mais pour les lois fédérales les radicaux suisses soutiennent qu’il n’en est pas de même, parce que les conseils ont reçu pleine délégation pour faire les lois. Ils ajoutent, avec plus de raison, qu’il y aurait quelque danger pour l’existence des cantons, s’ils avaient la faculté de se mettre en opposition avec la majorité du peuple. S’ils commettaient souvent cette imprudence, il est probable en effet qu’on les en ferait repentir. Toute résistance conservatrice finit par être vaincue, quand elle ne sait pas céder à temps. Si un certain nombre de petits cantons se coalisaient pour se mettre en travers de l’opinion publique, il leur arriverait ce qui est arrivé au Sonderbund : ils seraient brisés, supprimés peut-être, et, au milieu du courant unitaire qui malheureusement commence à les entraîner, c’en serait peut-être fait des institutions fédératives.

Malgré cela, et tant que ces institutions seront encore debout, le concours des cantons n’est pas moins utile dans les votations fédérales que le concours de la majorité populaire. Les objections qu’on y fait peuvent aussi bien s’appliquer à l’existence d’une seconde chambre. Si le conseil des états, qui représente la souveraineté cantonale, n’est pas un rouage inutile, et si l’on doit continuer à faire voter les lois par les deux conseils, il faut bien admettre la même base pour les votations fédérales. S’il peut en sortir des conflits qui compromettent le cantonalisme, on le compromettrait encore bien davantage en refusant le droit de vote aux cantons ; ce serait une manière certaine de les anéantir. Il ne faut pas oublier que, dans un état fédératif, les cantons sont des personnes morales égales en droit, mais inégales en fait. La population de Zug ou d’Unterwald est à la population de Berne, de Vaud ou d’Argovie comme celle de la Suisse à celle de l’Allemagne. Si l’on ne devait s’en fier qu’à la votation populaire, les petits cantons seraient toujours écrasés. Seulement, comme le droit électoral appartient en matière fédérale à tous les citoyens, même résidans, et qu’en matière cantonale il appartient aux seuls citoyens du canton, il pourrait se faire à l’occasion que dans un canton la votation cantonale donnât d’autres résultats que la votation populaire ; on aurait ainsi l’étrange spectacle d’un canton insurgé contre lui-même, et certes l’ordre public, comme le respect de la souveraineté cantonale, n’aurait rien à y