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On voit là dans les premiers essais d’impression en relief composés spécialement pour l’institution des aveugles, le système d’abréviation qui avait été adopté par Valentin Haüy, et qui tentait d’éviter la confusion que devait faire naître la similitude de certaines lettres entre elles. J’ai copié cette phrase : « un bon père donne toujours à ses enfans la nourriture et le désir du bien en tout ; » elle est estampée ainsi : u bo père done tojors à ses efas la noriture et le désir du bie e tot. Donc la lettre redoublée s’indiquait par un point souscrit, l’n par un tiret supérieur, l’u par un tiret inférieur. Pendant longtemps, on s’est servi de ces caractères, qui, sauf cette modification, reproduisaient notre écriture usuelle ; mais le problème de faire écrire l’aveugle d’une façon sérieuse, et surtout de lui permettre de se relire lui-même, n’avait point été résolu. Pour arriver à ce résultat si enviable et si vainement cherché, il eût fallu tracer des caractères en relief, et c’était là une difficulté qui paraissait insurmontable avec les lettres de notre alphabet ordinaire. On s’obstinait cependant à conserver celui-ci, et tous les efforts restaient stériles. En 1821, un officier de cavalerie nommé Charles Barbier, passionné pour la sténographie et cherchant toute sorte de modes d’écriture, imagina, à l’usage des aveugles, une méthode basée sur un système absolument nouveau. Il négligea l’orthographe, les mots, les lettres, et ne se préoccupa que des sons ; il composa une série de trente-six sons qui devaient suffire à reproduire tous les vocables de la langue française ; il divisa la série en six lignes composées chacune de six sons ; chaque son était représenté par un certain nombre de points disposés d’une façon particulière. Le point devenait donc le principe de l’écriture aveugle, comme la ligne est le principe de l’écriture voyante. L’invention de Charles Barbier constituait un progrès ; cependant elle était loin de répondre à toutes les exigences. Son écriture phonétique était souvent d’une application douteuse, elle amenait des confusions fréquentes et était bien plus compliquée qu’il n’aurait fallu ; en outre elle était impropre à la numération et à la notation musicale, grand inconvénient pour des hommes qui ont d’assez vives dispositions vers le calcul et qui ont la passion de la musique. Ce fut un aveugle, ancien élève de l’institution, où il était resté comme professeur, qui, s’inspirant des idées de Barbier, donna enfin aux aveugles l’écriture qui leur manquait. Cet homme, exceptionnellement intelligent et d’une sagacité rare, se nommait Louis Braille ; il était fils d’un bourrelier de province, et se creva les yeux, à l’âge de trois ans, en jouant avec une serpette. Son buste est placé aujourd’hui dans le vestibule de l’institution : ce n’est que justice ; après Valentin Haüy, c’est lui qui a le plus fait pour les aveugles. Par la combinaison de points alignés horizontalement et