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III

Le plus grand fléau de l’agriculture aux Açores est la multitude innombrable d’oiseaux granivores qui y séjournent. Après la récolte des céréales, ces oiseaux trouvent une subsistance assurée dans les baies et les autres fruits que leur offrent en abondance les arbrisseaux sauvages. Au moment de la maturité des blés, l’avidité de ces ennemis des moissons est telle qu’il faut employer contre eux de véritables moyens de défense. A San-Jorge, on se contente de faire sentinelle jour et nuit, et de les éloigner en faisant du bruit. Dans chaque champ s’élève un monticule de roches ou de branchages sur lequel se tient ordinairement une femme ou un enfant qui agitent des crécelles et poussent des cris bizarres. A San-Miguel, on a été plus loin : on a proscrit cinq des espèces qui causaient le plus de ravages, le merle, le bouvreuil, le rouge-gorge et deux pinsons[1]. Chaque douzaine de becs dûment représentés donne droit, dit Morelet, à une gratification d’environ 12 centimes. La dépense totale faite chaque année en rémunérations de ce genre s’élève pour l’île de San-Miguel à environ 3,500 francs ; elle est acquittée par les propriétaires proportionnellement à l’étendue de leurs cultures.

Les oiseaux étaient déjà extrêmement nombreux aux Açores lors de la découverte de ces îles. Le nom donné à l’archipel par les premiers explorateurs vient de la buse (falco butea), que l’on prit pour le milan, açor en portugais. Dans les récits que nous ont laissés les contemporains, il est souvent question de la multitude et de la familiarité des oiseaux au moment de l’arrivée des Européens. Un siècle plus tard, Fructuoso dans sa chronique s’extasie sur la délicieuse mélodie que l’on entend sans cesse dans les bois de San-Miguel, et décrit dans son langage naïf les charmes d’un concert dont les chanteurs sont le pinson, le serin, le toutinegro[2], le merle et la tourterelle. Le nombre total des espèces d’oiseaux trouvées aux Açores est de 53 ; sur ce chiffre, 15 espèces doivent être regardées comme véritablement étrangères, les individus qui les représentent n’ayant été rencontrés qu’accidentellement dans ces parages. Sur les 38 espèces restantes, 18 ou 20 seulement vivent dans l’intérieur des terres. Parmi ces dernières, il n’y en a que trois qui diffèrent assez de leurs types européens pour qu’on ait songé à en faire des espèces distinctes[3]. La faune ornithologique des Açores

  1. Melro (turdus merula), priolo (pyrrhula vulgaris), vinagreira (rubecula erythacus), tintilhão (fringilla canariensis) et canario (fringilla serinus).
  2. Sylvia atricapilla.
  3. Ces trois espèces sont : pyrrhula murina (Godman) ou coccinea (Drouet et Morelet), fringilla tintillon, serinus canarius. Ces deux dernières espèces sont, d’après Godman, identiques à des espèces de Madère et des Canaries. D’après Pucheran, l’assimilation ne saurait se faire que pour la dernière.